11 – Le Col du Crâne

Texte : Jérôme RUFFIER

Le visage de la femme semblait calme et impassible, mais Corben put déceler de l’anxiété dans ses yeux bleus profonds. Sous la pâle lune de cette nuit enneigée, les deux seuls êtres de chair et d’os encore vivants s’observaient, se jaugeaient et anticipaient. Lentement, le soldat de fortune baissa le regard vers les deux cadavres étendus aux pieds de la nouvelle arrivante. Leurs blessures avaient rougi le blanc manteau qui tapissait l’humus, Corben se félicita d’avoir fait mouche. L’ennui était qu’il ne lui restait qu’un seul couteau de lancer à sa ceinture et que son ennemie était à plus de quatre toises. Sur une cible immobile, il aurait touché son objectif sans aucun problème, mais sur une personne aussi maigre que la rouquine, qui paraissait de surcroit affutée et vive, c’était une autre paire de manche. Il n’aura qu’une tentative !
« On n’a jamais assez de couteaux ! » grommela-t-il entre les dents. Il le savait, son instructeur à l’armée lui avait dit, ses anciens camarades de bataille le scandaient à tue-tête et lui-même l’avait expérimenté par le passé. Un ou deux putains de couteaux en plus, ça lui aurait coûté quoi  !?  Ça n’aurait pas surchargé sa ceinture outre mesure et il ne serait pas dans la panade en ce moment. Il maudit intérieurement le petit con prétentieux qui lui disait encore, il y a une semaine, de ne pas trop s’encombrer. Un ou deux putain de couteaux en plus ! Ça ne prend pas de place, mais c’est surtout plus utile que tout le bordel que trimballait l’autre gringalet d’érudit et qui bringueballait dans la roulotte à chaque cahot ou secousse !
De son côté, la donzelle possédait un nombre de lames conséquent à sa ceinture, ainsi que sur son flanc, attachées par des lanières. Depuis que la légende de Kinora avait fleuri dans l’inconscient collectif, la moindre rebelle en culotte courte se prenait pour la célèbre mercenaire, imitant également son arsenal.
Corben tourna légèrement son pied gauche, le faisant avancer d’un demi-pouce. Son corps se tenait prêt à pivoter, pour saisir prestement son arme tout en se mettant immédiatement en position de lancer. La femme l’imita aussitôt, tout en laissant son regard fixé sur celui de Corben.
Une dernière fois, le mercenaire pesta contre lui-même : on ne part pas pisser en pleine montagne sans prendre son épée ! Il avait quitté la roulotte de l’autre crétin pour satisfaire un besoin naturel quand le trio de brigands, qui devait les suivre depuis la ville en contrebas, lui était tombé sur le coin du râble. Le souci était qu’il avait vu les deux solides gaillards mais pas la guerrière qui avait surgi depuis un rocher. Ils étaient maintenant face à face depuis une minute, une éternité, chacun attendant le meilleur moment. Et Corben n’aurait qu’un seul essai. « On n’a jamais assez de couteaux, se répéta-t-il en approchant doucement la main droite du manche de son arme ».
La femme avança également ses doigts sur l’un des manches. Le temps s’écoulait à présent plus lentement. Corben suait comme un bœuf, malgré le froid qui l’entourait. Il n’aimait pas se battre, il détestait encore plus tuer, mais par les Dieux, il excellait dans ces deux domaines ! Maintes batailles se sont déroulées sous ses yeux, son épée a tranché plus que de raison et il a achevé trop d’hommes pour espérer un jour une quelconque rédemption, mais sa gestuelle mélangée à son instinct de survie relevait presque du don surnaturel.
D’un mouvement rapide, son adversaire saisit le manche de son couteau le plus accessible, sortit l’arme de son fourreau et lança le projectile vers Corben. Celui-ci jubilait : il savait que dans ce genre d’exercice, le premier qui tirait se désignait lui-même comme le perdant. Le poignard vola en tournoyant vers le mercenaire qui fit juste jouer quelques muscles de son corps pour se retrouver complément de profil par rapport à son adversaire. Alors que le couteau arrivait vers lui, il saisit le sien pour le projeter à son tour. La lame de la femme lui frôla la joue gauche pour se perdre dans la neige. Par contre, le sien fusa à vive allure pour finir sa course dans la gorge de la demoiselle. Cette dernière toucha du bout des doigts sa blessure, tâta l’arme puis s’effondra sur le tapis banc, rejoignant ses compagnons de rapine.

Corben ricana. Il avait survécu encore une fois ! Il essuya son visage transpirant d’un revers de manche puis fouilla les cadavres. Il mit la main sur une dizaine de pièces d’or et quelques babioles sans intérêt. Il scruta minutieusement les épées des deux hommes pour les balancer ensuite dans la neige, le métal étant trop grossier et de mauvaise qualité. Il se mit à genoux devant la morte, ôta son propre poignard qui rangea dans son étui puis sortit quelques éléments de l’attirail de la femme. Des surins, des dagues, la donzelle ne manquait décidément pas de piquants ! Corben en sélectionna quelques-uns qu’il fourra dans le creux de sa ceinture car, il le savait, on n’avait jamais assez de couteaux.
— Je ne vous savais pas détrousseurs de cadavres, fit une voix narquoise derrière lui.
Corben sursauta, porta sa main à la ceinture puis se ravisa. Celui qui venait de débarquer sur la scène du carnage était un petit homme fluet, portant un manteau plus gros que lui. Il passa la main dans ses cheveux blonds et rehaussa maladroitement ses bésicles sur le nez du bout des doigts. Ces dernières tombèrent dans la neige, il les ramassa pour les essuyer.
— Pute borgne ! pesta Corben. J’ai failli vous tuer, Anatael !
— Vous auriez eu du mal sans ça ! répondit le jeune homme en sortant l’épée du mercenaire sous son manteau. Je suis venu vous voir car je trouvais que vous mettiez beaucoup de temps à… enfin, vous savez quoi.
— Donnez-moi ça, vous allez vous couper.
Anatael rendit l’arme à Corben. Les deux hommes firent demi-tour pour rejoindre les traces dans la neige menant à leur campement. Sous son imposante masse, les pas du mercenaire s’enfonçaient profondément dans la poudreuse, tandis que son employeur avait l’air de flotter dessus.
— Quelle idée d’uriner aussi loin ! lança le savant.
— Je voulais profiter de la lune pour admirer le paysage en pissant.
— Vous avez encore laissé des cadavres sur votre sillage.
— Est-ce de ma faute si ces fumiers nous suivent depuis Aracas ?
L’homme de science stoppa sa marche pour afficher un air outré :
— Insinuez-vous que c’est de la mienne, Corben ?
Le mercenaire fit halte également pour se retourner vers son compagnon de voyage.
— À Aracas, si je me souviens bien, vous avez décidé de ne pas dormir dans la roulotte, malgré mes recommandations, parce que « Monsieur » en avait assez de la viande séchée, voulait un bain et loger dans une auberge douillette !
— N’allez pas dire que le Cheval sans Sabot ne vous a pas convenu à vous aussi. D’autant que c’est ma bourse qui a réglé la chambre.
— Parlons-en de votre bourse, bougre de binoclard ! Une merveilleuse idée de la sortir dans une salle remplie de pochards et de détrousseurs ! Avec ce qu’il y a dedans, le moindre paysan peut vivre six mois dans un luxe excessif. Et vous l’avez montrée à tous.
— Qu’est-ce qui vous dit que…
— Les trois qui m’ont attaqué étaient à la table du fond, si vous avez bonne mémoire, coupa Corben.
— Maintenant que vous le dites.
— De toute façon, le mal est fait. Et puis il n’y a plus d’auberges ni de village jusqu’à notre destination. J’espère juste que d’autres malandrins n’ont pas eu la même idée que ces lascars.

Ils reprirent leur marche pour arriver à une petite clairière. Un feu se consumait lentement sous une casserole dont l’eau bouillait. Quatre chevaux étaient attachés à des arbres, assez rapprochés pour se réchauffer mutuellement. À proximité du sentier qui jouxtait l’endroit se dressait une grande et large roulotte à l’allure singulière, donnant le sentiment à Corben de vivre dans une maison à laquelle on aurait ajouté des roues. Le tuyau en fer sortant du toit, laissant échapper la fumée de l’âtre, ajoutait encore à l’aspect cocasse de l’ensemble.
— Allez vous coucher, ordonna le soldat de fortune à Anatael. Demain on se lève à l’aube. Ne traînez pas, j’ai entendu des rumeurs au sujet de drôles de bêtes qui erreraient dans le pays depuis un an.
— Fariboles ! rétorqua Anatael. J’ai ouïe dire la même chose et j’ai vu un des cadavres de ces monstres. Si vous voulez mon avis, c’est l’œuvre de faussaires qui souhaitent entretenir la peur et vendre leurs bestioles empaillées.
— J’ai entendu des bruits étranges il y a trois nuits. M’étonnerait que cela provienne de taxidermistes avec les fonds de poches troués. Allez-vous pieuter, avant qu’il ne me vienne l’idée de vous empailler !
Le savant déglutît et obéit. Une fois seul dans la clairière, Corben balança l’eau bouillante dans la neige, créant ainsi un nuage de vapeur. Tant pis pour l’infusion qui devait l’aider à dormir. « Ça vous aidera à passer une bonne nuit, fit Corben en imitant la voix chevrotante de l’apothicaire qui lui avait vendu les plantes à diluer dans l’eau. Tu parles d’une bonne nuit ! Faut se lever quatre fois pour aller pisser ! ».
Il ouvrit à son tour la porte de la roulotte sur le côté. Une bouffée de chaleur l’envahit, accompagnée d’une bonne odeur de bois sec qui se consume. Sur la gauche, une table avait été clouée à la charpente. Au-dessus, des dizaines de parchemins griffonnés, des livres occultes et des notes traînaient négligemment. Le nouveau bureau d’étude d’Anatael, du moins le temps de leur périple… 
À droite, une couchette douillette surmontée de plusieurs planches solides posées à plat faisait office de double-lits. N’ayant pas confiance à l’aspect fragile de l’aménagement, Corben, qui faisait deux fois le poids du gringalet, avait exigé de ce dernier qu’il dorme sur la couche du haut.
Le mercenaire s’assit sur une chaise en face de la deuxième table de la roulotte, au milieu de la pièce et à côté de l’âtre en fer forgé qui surmontait un dallage de pierre pour que le bas du véhicule ne prenne pas feu. Corben se servit un verre de gnôle et l’avala d’un trait. C’était tout de même plus efficace que ces maudites infusions !
Son regard se porta vers un paquetage au fond de la roulotte. Cela ressemblait à un « T » enveloppé de linge cintré de cordages et Anatael l’avait défendu d’y toucher.
— Putain de savant ! pesta-t-il.

 

La lumière de l’aube filtrait au travers des rideaux, inondant le visage d’Anatael. Il se leva de la couchette et poussa le carré de tissu qui se replia sur lui-même, laissant passer une bande de lumière qui inonda l’intérieur, le centre de la roulotte. Il trempa ses mains dans une bassine d’eau fraîche sur la table, mise par Corben, pour se laver sommairement la figure. Il s’essuya le visage sur une serviette qui sentait étrangement l’oignon puis ouvrit la porte du véhicule. Le mercenaire était assis sur une souche, devant le feu de camp qu’il venait de raviver. Une casserole déposée sur le foyer. En voyant l’érudit s’approcher de lui, Corben leva la tête dans sa direction :
— Bien dormi ? Vous êtes paré à partir ?
— Et le petit-déjeuner ? demanda Anatael, le ventre gargouillant.
— Un lapin s’est pris la tête dans un collet. On le mangera vers midi. Pour le moment, j’ai fait chauffer de l’eau pour une infusion. Les feuilles proviennent d’un bocal de l’étagère. Ça nous tiendra chaud pour la route. Si vous avez faim, il reste cinq livres de viande séchée dans la roulotte.
Le guerrier attrapa deux verres en fer puis versa l’eau saumâtre de la casserole à l’intérieur. Il tendit un exemplaire à Anatael. Corben avala une gorgée en grimaçant tandis que l’homme de lettres jeta son contenu dans la neige, créant par réaction une petite vapeur.
— Vous n’aimez pas ça ? fit Corben en reprenant une gorgée.
— L’Anais Perdurae ? Le goût n’est pas désagréable mais la feuille sert à empêcher les chevaux d’avoir un blocage aux intestins. Or, tout va bien pour moi dans ce domaine.
Corben recracha le liquide puis attrapa de la neige qu’il se fourra dans la bouche.
— Espèce d’abruti ! beugla-t-il en mâchonnant. Vous auriez pu m’avertir !
— J’ai cru que vous aviez des problèmes de transit.
— Mais absolument pas ! cria Corben.
— C’est navrant, car maintenant vous allez en avoir.
Le mercenaire se leva, lança un regard noir au savant puis partit au loin en débouclant la ceinture de son pantalon.
— Du coup, je peux faire cuire le lapin ? hurla Anatael en mettant ses mains en porte-voix.

 

Malgré les cachots qui secouaient la roulotte, Anatael parvenait à maintenir une écriture stable en rectiligne. Il avait passé la journée entière à noircir des palimpsestes, barrant, soulignant et ajoutant des annotations aux textes qui défilaient sous ses yeux.

Soudain, la roulotte stoppa sa course. Anatael pensa que le conducteur allait encore prendre quelques minutes pour se soulager derrière un bosquet, aussi fut-il surpris quand la porte s’ouvrit, laissant passer un courant d’air frais. Corben referma le battant pour se rapprocher de l’âtre qui se consumait lentement. Il ôta ses gants pour se réchauffer les doigts à la chaleur du foyer.
— Vous m’en voulez toujours ? lui demanda l’homme de science.
— Groumf ! maugréa Corben, sans réellement répondre.
— J’imagine que dehors il doit faire très froid.
Corben lâche une expiration d’agacement tout en se passant une main sur le visage.
— Cela fait deux semaines que je supporte votre petit air hautain, vos gestes maniérés ainsi que votre attitude désinvolte.
Anatael se retourna, laissant ses grimoires de côté pour le moment et observa Corben, un sourire aux lèvres.
— Je suis surpris de vous voir employer de tels termes. Pour quelqu’un qui ne sait pas lire, vous…
— J’ai répété cette phrase ! interrompit le mercenaire. J’ai eu tout le temps d’y réfléchir pendant que je me caillais les miches sur le siège conducteur, dans le froid et la bise.
— À la bonne heure, déclara joyeusement Anatael, car figurez-vous, mon cher reître, que moi aussi j’ai beaucoup réfléchi !
— M’étonne pas ! renchérît Corben. Pour réfléchir, vous êtes fort. Mais pour m’aider à débourrer les chevaux ou faire un feu, y’a plus personne !
— Ne faites pas votre mauvaise tête, fit le savant d’une voix malicieuse. Je vous paye grassement pour tous les services que vous me procurez.
— À condition de survivre à ce périple. Le chemin est long et dangereux. J’me demande à quoi va me servir tout cet or si je nourris les pissenlits une toise sous terre !
En soupirant, Anatael laissa choir les parchemins qu’il tenait sur la table et se leva. Il se rendit à l’un des murs de la roulotte pour ouvrir le rideau. Le soleil inonda l’intérieur du véhicule, dans un halo de poussière. Le savant porta son regard au loin, vers le paysage enneigé. Une grande éminence blanche se détachait dans une large enceinte montagneuse.
— Le Col du Crâne ! clama-t-il. Vous me guidez, j’accomplie ce que j’ai à faire et vous finissez plus riche que vous ne l’avez jamais été.
Corben haussa un sourcil. Il n’avait pas souvent été fortuné, ses maigres salaires avaient toujours terminé sur une table de paris ou dans les bourses des filles de taverne. Quand on fait ce métier, l’or devient à certains moments un poids. Mais cette fois-ci, il pourrait s’acheter une maison et, pourquoi pas, cultiver un lopin de terre tout en rangeant son épée au-dessus de l’âtre de sa future cheminée. Un dernier gros coup, une ultime mission pour en finir avec le sang et la violence…
— Je n’aime pas vos idées de profanation de tombeau, grommela le mercenaire entre ses dents. Vous risquez de nous attirer le mauvais œil.
— Ce n’est pas de la profanation, Corben, mais de l’archéologie. Et je ne suis pas certain que ce soit un tombeau.
— Vous employez des mots différents pour les mêmes choses. Foutus savants et vos belles paroles ! Les types comme vous, ceux qui ont lu des livres, jettent de belles phrases en l’air pour que des types comme moi meurent sur des champs de bataille ! Personne n’a mis les pieds au Col du Crâne depuis des siècles, il doit bien y avoir une raison…
— La superstition ! lâcha Anatael d’une voix morne. Les contes et légendes de la région fleurissent au fur et à mesure que le temps passe. Vous êtes la seule personne que j’ai trouvée qui en soit revenue.
— Et je vous ai dit que je ne souhaitais pas retourner là-bas. Seule votre promesse d’or est assez forte pour me convaincre. Et pour votre gouverne, je suis passé à côté du col, je ne suis pas entré à l’intérieur. Je ne suis pas fou, contrairement à vous !
Le savant esquissa une moue puis se rassit à l’unique table de la roulotte. Il poussa le fatras de parchemins d’un revers de main pour attraper du bout des doigts une bouteille de vin sur un meuble à côté ainsi que deux verres en bois. Il servit une rasade dans chacun et proposa à Corben de s’asseoir en face de lui. Le mercenaire obéit.
— Croyez-vous en la magie, Corben ?
— Oui, répondit le reître en plongeant son nez dans le verre.
— Hé bien vous avez tort. La magie n’existe pas. Les magiciens que vous pouvez voir sur les places de marché ne sont que des illusionnistes, ils détournent l’attention et effectuent des tours de passe-passe. Pourtant, il existe quelque chose qui s’apparente aux arcanes. Vous connaissez l’histoire de Kinora et de Palwynn ?
— Qui ne la connait pas ? Une bien belle fable, merveilleuse et triste à la fois.
— Une bien belle fable, reprit Anatael. Sauf que mes études m’ont démontré que ce récit est vrai. J’ai été la risée des historiens, des moines et de mes pairs. Je compte bien leur prouver que j’ai raison. Et ma preuve se situe au Col du Crâne.
Corben se resservit en vin tout en haussant un sourcil, l’air dubitatif.
— Pourquoi là-bas ?
— On ne sait pas si, malgré la rumeur, Kin et le Loup Noir sont toujours de ce monde. Ce que l’on est presque certain, en revanche, c’est que ce couple est lié à un concept ésotérique que personne ne pourrait pleinement expliquer.
— L’Oeil, résuma Corben.
— En effet. Ce n’est pas de la magie, même si cela peut s’y apparenter de par son aspect occulte et éthéré. Et l’Oeil a un lien ténu avec l’épée du Loup Noir.
— Son épée magique.
— Fichez-moi la paix avec la magie ! clama le savant. Ce n’est pas parce qu’on grave deux ou trois runes sur une lame que cette dernière se met soudainement à produire de la lumière !
Anatael se rembrunit en observant le fond de son verre. Il prit une voix grave en relevant son regard pour le croiser avec celui de Corben.
— L’épée de Palwynn est vieille. Très vieille même. Je la soupçonne d’avoir été forgée avant même que le premier homme ne foule les pieds sur cette terre. J’ai retrouvé des écrits du Monde Antérieur qui mentionnent l’épée. Cela m’a coûté deux ans de traduction, j’ai mis mes études de côté, mais les textes sont formels : la première mention de l’épée se situe loin devant nous, au Col du Crâne, que les Anciens nommaient Parx Sholott. Malgré tous mes efforts, je n’ai pu savoir si cette appellation pouvait se traduire…
Le repaire de la clef, fit Corben avec une certaine fierté.
— Pardon ? demanda l’homme de science en écarquillant les yeux.
Parx Sholott. C’est du Bas Erolien. Mon grand-père le parlait quand j’étais haut comme trois pommes.
— Mais… comment… ?
— Le père de ma mère (que le Dieu Absolu veille sur son âme) venait du sud des Arlaires, de l’ancienne Erolie, avant que la province ne soit unifiée. Parx Sholott veut dire le repaire de la clef.
Corben vit la mâchoire de son employeur se décrocher, comme si cette dernière s’apprêtait à devenir indépendante et sortir de son plein gré de la roulotte.
— On peut ne pas savoir lire et connaître la langue de ses aïeux, répliqua aussitôt le mercenaire, comme pour se justifier.
— Corben, mon ami ! s’exclama Anatael en leva les bras au plafond. Vous êtes d’une aide providentielle. Pour un peu, je vous embrasserai !
— Je ne préférai pas, rétorqua l’homme d’arme.
— Moi non plus, se ravisa le savant. C’était une façon de parler. Le Bas Erolien est une langue pratiquement disparue, à cause de la Grande Purge des Patriarches. Les livres ont été brûlés et je n’ai jamais pu le traduire.
— Suffisait de me d’mander, répondit Corben, faussement modeste.
— Si j’avais su que vous parliez le…
Un hennissement interrompît l’érudit, suivi d’un hurlement sinistre, bestial, mêlé à un étrange cliquetis. Le cou d’Anatael coulissa dans ses épaules tandis que Corben se redressa et tira son épée du fourreau.
— Restez à l’intérieur ! ordonna-t-il à son compagnon.
— Je suis le cerveau, vous êtes les bras, bredouilla le savant.
— Pour changer ! grogna le soldat en ouvrant la porte à la volée.
En moins de deux secondes, Corben se trouvait à l’extérieur, sous le soleil froid d’une fin d’après-midi d’hiver. Il avait laissé les montures se reposer à l’abri du vent à côté d’un couple de sapins dégarnis. D’un simple coup d’œil, il constata avec soulagement que les bêtes n’étaient pas blessées. Il scruta lentement les alentours, serrant le pommeau de son arme entre ses doigts. Personne ! Tout semblait normal, sauf cet assourdissant silence entrecoupé de brèves réactions des montures qui haletaient. Il se hâta de les rejoindre et les caressa affectueusement sur l’encolure. Les chevaux frissonnaient de terreur. Qu’avaient-ils aperçu dans cet horizon enneigé ? Un loup, un ours ? Et de quelle gorge anormalement atrophiée provenait le hurlement qui avait déchiré la colline ? Certainement pas celle d’un quelconque brigand, cela venait d’une créature dont il ignorait l’origine et la nature. Les hennissements avaient dû faire fuir la bête, mais pour combien de temps ?
Il chercha dans la neige et ne mit pas longtemps à trouver les traces qu’il espérait trouver. Il resta un moment à les observer, se frottant le menton devant l’incompréhension, puis décida de retourner à l’intérieur de la roulotte pour effectuer son rapport à l’homme qui le payait.
— Une bête ! dit-il en ferma la porte, coupant le froid qui pénétrait subrepticement.
— Une bête ? répéta Anatael. Quel genre de bête pousse un cri pareil ?
— Je n’en sais rien. Cela n’a… cela n’a pas de sens.
Corben se précipita vers la commode d’un des murs pour saisir sa bouteille de vieille gnôle puis attrapa le verre qu’il avait déposé sur la table pour le remplir. Il vida le contenu d’un trait, sous l’œil hagard de son compagnon de voyage. Il reposa le tout devant Anatael pour ensuite plonger les yeux dans ceux de ce dernier :
— Une trace en ligne droite. Et de chaque côté, des petits trous.
— Je ne m’y connais guère en art de la chasse, mais ce n’est certainement pas un chevreuil.
— J’ai passé un an entier sur l’île des Suppliciés, durant la Révolte des Bateliers. Un an à errer sur les plages de sables fins pour débusquer les contrebandiers loyalistes. Ce que je viens de voir ne se trouve pas dans une colline enneigée mais plutôt au bord d’une étendue d’eau salée.
— Vous voulez dire… ? commença Anatael.
— Des traces de crabe, le coupa Corben. Mais vu l’écartement et l’enfoncement des empreintes, je ne vous parle pas du crabe que vous pouvez commander dans une auberge de pécheur à l’ouest de Jaspe pour un Glorin et deux pièces de bronze, chopine comprise ! Celui-là fait au moins la taille d’un gros chien.
— Cela n’a pas de sens ! s’exclama l’homme de science.
— C’est exactement ce que je disais. Vous ne m’écoutez pas ?
— Vous pensez que cette… chose va revenir ?
— Le soleil se couche. On va sortir de la paille, vous allez me prêter quelques-uns de vos vêtements. Avec ma couverture et un bon feu, je devrais être suffisamment protégé du gel pour dormir cette nuit à côté des chevaux.
— Parfait ! approuva Anatael, trop heureux que ce ne soit pas lui qui couche ce soir-ci à la belle étoile. Bonne idée !
— Bien entendu, vous comprendrez que je demande une petite compensation pécuniaire. Mes vieux os supportent mal la glace de l’hiver.
— En tout cas, vous n’avez pas froid aux yeux, maugréa Anatael. Mais c’est entendu, faisons comme vous le dites !

 

Lorsque l’érudit ouvrit les yeux, la lumière du soleil filtrait au travers des rideaux des carreaux de la roulotte. Aussitôt, il bondit de sa couchette, enfila sa cape et se précipita dehors, le cœur haletant. Il fut immédiatement rassuré.
Corben était en train de brosser les chevaux tout en sifflotant un air en vogue dans les tavernes. Quand il aperçut Anatael, il se tourna vers lui pour lui adresser un large sourire :
— Bonjour, cher employeur. Avez-vous bien dormi ?
— Oui. Et vous. Comment s’est passé la nuit ?
— Excellente, excellente. Je n’ai rien entendu. Je me demande même si le hurlement d’hier n’était pas un oiseau du coin. Il y a toujours eu de drôles de bestioles dans les parages. La dernière fois que je suis venu, j’ai même vu un renard avec de la fourrure entièrement blanche.
— Alors comment expliquez-vous les traces dans la neige ?
Le visage de Corben se figea. Le savant sut alors qu’il mentait et que son compagnon avait passé une nuit épouvantable.
— Je ne voulais pas vous inquiéter, avoua l’ancien soldat. Je comptais sur vous pour diriger la roulotte durant quelques heures afin que je puisse me reposer. Il y a eu quelque chose qui rôdait autour de notre campement. Les chevaux ont été paniqués une bonne partie de la nuit. Je ne sais pas ce que c’est, mais je n’ai jamais entendu des bruits pareils.
— Je conduirai l’attelage, le rassura Anatael. Je viendrai vous réveiller lorsque je ne serai plus certain de la direction à prendre.

 

Le sommeil de Corben fut agité, parcouru de cauchemars diffus. Il se réveilla dans sa couchette en sueur, le cœur battant. Il avait l’impression qu’un hurlement l’avait tiré de ses rêves affreux. Il marmonna une injure en serrant sa couverture puis ferma les yeux… pour les rouvrir aussitôt. La roulotte n’avançait plus. Il quitta son lit de fortune pour ouvrir le rideau donnant sur l’extérieur.
À une demi-douzaine de lieues s’élevait le Col du Crâne, au-dessus d’une étendue neigeuse désertique. Deux éminences de pierre se dressaient fièrement dans le paysage, éventrées en leur sein par une très vieille route. Au bout de la voie abandonnée, un énorme rocher, plus haut que trois maisons superposées, s’intercalait entre les deux monts. Corben frissonna. L’endroit portait bien son nom !
Le rocher en question avait la forme d’un crâne gigantesque, dont la bouche imaginaire formait l’entrée d’une grotte béante. Les supposés yeux n’étaient pas des ouvertures mais résultaient plutôt d’un ponçage minutieux et interminable de la roche, si on prenait en considération que c’était l’homme et non la nature qui avait façonné cette apparition.
C’était la deuxième fois dans sa vie qu’il apercevait de loin le Col du Crâne. Le mercenaire se jura qu’il ferait en sorte de ne plus jamais s’en approcher à l’avenir. L’allure gigantesque, la forme semi-humaine de cette tête squelettique surplombant un espace dénué de toute vie, lui faisaient dresser les poils le long de ses bras.
— Corben ! hurla Anatael depuis l’extérieur. Corben, putain de bordel !
La voix avait des relents de terreur. C’était bien un cri qui avait réveillé le soldat de fortune. Il attrapa son épée sur la table et sortit de la roulotte, se félicitant d’avoir dormi avec ses bottes. Le plus effrayant était le juron de l’homme de science ; ce dernier répugnait à en employer.
Ses semelles s’enfoncèrent de quelques pouces dans la neige. Corben marcha difficilement le long de la roulotte, fixant ses yeux sur la nuque d’Anatael qui tenait toujours les rênes, assis sur la place du conducteur.
Soudain, son regard fut attiré par un mouvement devant les chevaux. Une forme allait et venait à vive allure, telle une sentinelle arpentant son chemin de ronde. La curieuse silhouette surprit le mercenaire qui s’avança jusqu’à arriver à hauteur de son compagnon. Ce dernier avait le visage blanc comme un linge, ses lèvres murmuraient des suites de mots inaudibles, conséquence d’une peur effroyable. Corben délaissa Anatael pour passer devant les chevaux, qui tremblaient eux aussi.
L’apparition possédait cinq paires de pattes, dans la veine des décapodes, dont la première était surélevée pour se terminer en pinces. Mais au-dessus, Corben vit avec terreur que rien ne ressemblait de près ou de loin à un crabe ! Le corps disposait de nombreuses touffes de poils gluantes et était surmonté d’un court torse rouge aux allures presque humaines, si on exceptait les tentacules gesticulantes qui avaient remplacé les hypothétiques bras. Un unique œil, gros comme la tête d’un adulte, trônait sur l’ensemble cauchemardesque, rattaché à un maigre et long cou poilu. La chose déambulait de gauche à droite en faisant claquer ses pinces bruyamment, empêchant le passage de l’attelage.
Corben faillit lâcher son épée. La vision d’horreur lui était insupportable, ce monstre tiré des pires imaginaires n’avait rien de normal, la nature ne pouvait concevoir ce genre de chose, il le savait !
Le monstre continuait de se déplacer à la manière d’un crabe, tout en poussant des hurlements. Corben se demanda sur l’instant d’où pouvait provenir ce cri, la bête n’ayant pas de gueule ni de bouche.
Le mercenaire fit quelques pas prudents en avant, en direction de l’apparition. Cette dernière s’avança également. Il effectua immédiatement un pas en arrière, la créature l’imita aussitôt. Corben, tout en ne lâchant pas du regard le monstre, marcha à reculons jusqu’à Anatael.
— C’est une sentinelle. Ça garde quelque chose.
— Le Col du Crâne, répondit le cocher sur le bout des lèvres. Il faut la tuer si on veut passer.
— En admettant qu’elle soit toute seule. Les traces de pas que j’ai vues hier correspondent à ses pattes. Elle ou les siens ont rôdé près de la roulotte. De toute façon, tant qu’elle est là, on ne pourra pas avancer.
Corben quitta le savant pour aller, en position offensive, en direction la bête. Il fit quelques moulinets dans le vent avec son épée et se tint en position d’attaque. La créature avança à son tour, les deux assaillants ne se trouvaient plus qu’à trois ou quatre toises l’un de l’autre. Corben savait instinctivement que s’il crevait l’œil de la monstruosité, le combat serait bref. Il tendit son épée en arrière, prit appui sur ses bottes, puis courut sur la courte distance en frappant de toutes ses forces.
La créature leva ses pinces immédiatement, la lame du mercenaire ricocha contre la chitine.
— Merde ! jura Corben. C’est intelligent, on dirait…
La bête baissa ses pattes arrières pour remonter celle de devant. Avec terreur, l’ancien soldat comprit où se trouvait la gueule de son ennemi. Sous sa partie inférieure, face contre terre. Une gigantesque ouverture garnie de crocs acérés et de bave immonde béait, accompagnée d’un cri de rage. Corben eut soudain l’impression que son adversaire était un assemblage de plusieurs créatures et que, au vu du torse, il y avait aussi de l’humain là dedans !
Le mercenaire se mit en position d’attaque, observant les faits et gestes de la bête. Celle-ci recula pour prendre de l’élan et se jeta contre Corben. Ce dernier avait anticipé le coup en pivotant sur lui-même. D’un mouvement rapide et précis, il trancha de sa lame l’unique œil géant de la créature. Un rugissement horrible s’échappa de la gueule et le monstre s’effondra au sol. Une puanteur abjecte s’échappa du cadavre dont le sang jaune faisait disparaître la neige autour.
— Attention, Corben ! cria Anatael.
Le guerrier fit volte-face mais trop tard, une masse venait de s’effondrer sur lui par la gauche. Au sol, il prit son épée par les deux extrémités pour faire barrage et empêcher la gueule de la deuxième créature qui venait de surgir de lui grignoter le ventre. Les dents acérées frottaient son manteau tandis que les pattes de crabe cognaient contre ses jambes. Dans un ultime effort, Corben repoussa du pied le monstre, qui se rattrapa sur ses arrières, puis il roula sur lui-même dans la neige pour se relever. La transpiration coulait dans son dos, conséquence d’une activité physique soudaine mais surtout d’une terreur sans nom.
Corben fit quelques passes dans le vide avec son épée puis frappa. La pointe de l’acier transperça le torse presque humain du monstre, mais ce dernier ne semblait pas avoir ressenti la blessure. Au contraire, les tentacules ondulant le long de ce qui aurait dû être des bras s’agrippèrent au poignet qui tenait l’épée du soldat. L’arme fut aussitôt saisie par les appendices gluantes et Corben se trouvait à présent à donner des coups à mains nues sur son assaillant. L’une de ses attaques atteignit l’œil, faisant reculer la créature d’une bonne toise. Cette dernière se dressa sur une patte pour pousser un hurlement abominable puis se jeta sur le guerrier. Corben se décala sur la droite et en une demi-seconde, il sortit l’une des dagues qu’il avait prise sur le cadavre de la femme dans la forêt enneigée pour la planter dans l’orbite gigantesque de la bête. Un flot de liquide jaunâtre jaillit de la plaie, Corben s’apprêtait à donner un second coup quand la monstruosité s’effondra sur la glace, morte.
Il attendit une minute afin de s’assurer qu’aucun des cadavres n’allaient se relever puis récupéra son épée et essuya sa dague dans la neige. Il se tourna vers Anatael en souriant.
— On n’a jamais assez…
— On n’a jamais assez de couteaux ! termina le scientifique, blanc comme un linge. Je sais ! Vous me le répétez depuis Aracas !

 

Les chevaux avaient été rassurés, cajolés et trottaient maintenant sur un ancien sentier, enfonçant leurs pattes dans une neige molle mais poudreuse. Sur l’attelage, Corben menait la troupe en jetant de temps à autres des regards inquiets au loin. Assis à ses côtés, Anatael frottait ses mains gantées pour conjurer ce froid tenace. Derrière une montagne, une moitié de soleil se dissimulait, signe que la nuit allait tomber dans les minutes qui suivaient. Les deux voyageurs n’avaient pas pipé mot depuis l’effroyable rencontre, mais chacun sentait que l’autre voulait en parler, ne serait-ce que pour exorciser la terreur qui les avait animés. Au final, ce fut le mercenaire qui prononça les premiers mots :
— Expliquez-moi ce qu’étaient ces bestioles. Et surtout, pour quelles raisons allons-nous au Col du Crâne.
— Pour les créatures, je n’en sais rien. Tout comme vous, j’ai entendu des rumeurs : des monstres surgissant de nulle part dans tout le pays. Sans raison particulière. Quant à notre quête du Col du Crâne, je vous l’ai déjà dit, je dois accomplir un rituel pour… prouver un fait historique. Ou l’infirmer.
Le silence se fit quelques secondes. Des flocons commencèrent à tomber sur la roulotte.
— Aucun dieu, aussi tordu qu’il soit, n’aurait imaginé de telles saloperies ! grommela Corben.
— Je reconnais que zoologiquement, ce que nous avons croisé est inconcevable.
— « Ce que nous avons croisé ! » tonna le mercenaire. J’ai failli me faire becqueter les miches pendant que vous vous pissiez dessus sur le siège.
— Vous êtes les bras, je…
— « Je suis le cerveau » ! coupa Corben en imitant la voix parfois fluette de son compagnon. Moi aussi j’ai intégré vos phrases toutes faites ! Mais quand vous m’avez refilé la bourse d’or au début du voyage, vous avez oublié de me préciser que je devrais affronter des immondices qui foutraient la gerbe à des personnes aussi peu regardante que mon ancienne belle-mère, par exemple. Ne levez pas les yeux, je sais de quoi je parle : une fois, elle a joué toute une nuit avec une flûte qui a servi de… non, j’peux même pas en parler, c’est trop dégueulasse !
Anatael prit une grande inspiration, tout en affichant un air désolé :
— Je ne savais pas, Corben. Croyez-moi. Cela dit, l’apparition de ces monstres dans le pays est l’une de mes motivations. Je pense qu’au Col du Crâne se trouve la réponse de leur venue dans nos contrées. Peut-être que, au bout de notre aventure, arrivera une ère de tranquillité. Nous serons des héros, Corben. Le monde nous remerciera et nous récompensera.
— Ma seule récompense serait de vous coller une dizaine de coups de pied au cul au coin d’une cheminée tout en sirotant une bonne bière avec une femme lascive sous chaque bras.
Les deux hommes se dévisagèrent longuement. Puis Corben amena vers lui les rênes et descendit de la carriole sous le voile nocturne qui s’étendait de plus en plus.
— On va pieuter ici, Monsieur l’Ambitieux ! Et je vous préviens, monstres ou pas monstres, je dors dans la roulotte. De toute façon, nous sommes à moins de deux heures de notre destination. Mais il fait trop froid, même vous, vous grelottez. Je vais faire un feu pour les chevaux, cela repoussera peut-être ces saloperies. Vous, occupez-vous de celui de la roulotte.
— Si nous ne sommes qu’à deux heures, ne pourrions-nous pas tirer un peu plus sur les montures ? demanda Anatael en rentrant sa tête dans les épaules.
— Je pourrais aussi vous tirer une claque sur la gueule. Ça vous réchaufferait, ça me détendrait et je suis même sûr que ça ferait rire les canassons…

 

Le réveil ne fut pas brutal, contrairement à ce qu’avait craint Corben. Le feu avait brûlé une partie de la nuit et les fidèles destriers n’avaient pas été attaqués par les créatures.

Après un solide petit-déjeuner, le convoi repartit sous les lueurs blafardes de l’aube. Le soleil jouait à cache-cache, projetant de temps à autre ses rayons sur la neige glacée. Le sentier menant au col montait de plus en plus tandis que l’effroyable crâne de pierre se rapprochait. Une lieue plus tard, Corben et Anatael pouvaient apercevoir un paysage magnifique lorsqu’ils prenaient la peine de se retourner. La roulotte surplombait une vaste étendue de collines blanches et désertiques. La sensation de vide paraissait de plus en plus intense à chaque palier de dénivelé.

Ils arrivèrent bientôt devant un mince mais long pont de pierre qui reliait deux falaises, au-dessus d’un précipice si profond qu’on ne pouvait en voir le fond. De l’autre côté de l’architecture cyclopéenne filait la suite du sentier qui montait, une centaine de toises plus loin, au crâne géologique.

Les deux compagnons n’en menèrent pas large lorsque la roulotte s’engagea sur l’édifice. Ce dernier était si vieux qu’aucune mémoire d’homme ne pouvait en relever l’origine. Corben serrait la bride des montures en tremblant de terreur, ce qui fit sourire Anatael :
— Vous souffrez de vertige, mon ami ?
— Oui. Si ce merdier s’écroule, aucune épée ne pourrait nous aider.
— Il ne s’écroulera pas. Je doute que ce soit des humains qui l’aient bâti.
— Qui voulez-vous que ce soit !? pesta Corben.
— Autre chose…
Le mercenaire ne répondit pas. Il se contenta de mener l’expédition de l’autre côté du pont. Son cœur reprit un rythme normal quand les sabots des chevaux foulèrent à nouveau la neige surmontant la terre gelée. Il poussa un soupir de soulagement et fit accélérer la cadence des montures. Une dizaine de minutes plus tard, la roulotte et ses occupants se tenaient devant l’entrée béante, la bouche noire qui semblait figée en un cri éternel.

 

Le mercenaire nourrit les bêtes, fit un feu pour les réchauffer, tandis qu’Anatael était parti dans la roulotte pour récupérer ses « affaires ».

Quelques instants plus tard, les deux aventuriers entraient dans la grotte du Col du Crâne. Le passage ne fut pas simple car les dents sculptées aussi bien en haut qu’en bas dans l’ouverture ne permettaient pas de se faufiler aisément. Corben avait posé une couverture sur les crocs. Il était passé sans se blesser puis Anatael lui envoya deux torches allumées, son sac ainsi que l’étrange emballage en forme de croix. Ensuite, le guerrier aida le savant à franchir la dentition et ils commencèrent à arpenter les lieux. Les lumières des torches révélèrent de bien étranges sculptures : ceux qui ont créé cette caverne se sont mis à l’œuvre, certainement des années durant, à recréer l’intérieur organique d’un être vivant. Les compagnons marchèrent sur une longue langue grisâtre de pierres taillées tandis qu’un couloir descendait bien plus loin pour s’enfoncer à la verticale, simulant un œsophage. Cela troubla Corben plus que de raison.
— Sommes-nous sûrs de ne pas être dans une créature fossilisée ? demanda-t-il à l’homme de science. Tout cela est trop réel. Même les meilleurs sculpteurs n’auraient pu effectuer un tel travail.
— Ce ne sont pas des hommes qui ont fait ça. Quant à savoir si nous sommes dans un géant qui a existé ou non, ceci devrait vous rassurer.
Le savant avança sous la glotte pour s’arrêter devant une stèle de pierre que Corben avait prise, au loin, pour un gravât effondré. Les yeux d’Anatael s’illuminèrent.
— La stèle ! s’écria-t-il. Elle est bien là, comme indiqué dans le De Putrefacia non Arquae.
— Ça semble une bonne nouvelle, fit Corben en arrivant à sa hauteur.
— Une très bonne nouvelle, même ! Mes théories sont donc fondées. Ne reste plus qu’à les mettre en pratique. Mais avant, fêtons cette découverte, mon ineffable et néanmoins sanguin ami ! 
Enjoué, Anatael fouilla dans son sac. Le guerrier, curieux, jeta un coup d’œil à ses pieds. Il y avait en effet une stèle de pierre scellée au sol, avec des inscriptions idiomatiques sur les tranches gravées dans un langage dont il ignorait tout. Sur la face plane du dessus, on pouvait apercevoir une large fente. Le savant sortit de son sac deux chopines en bois ainsi qu’une bouteille de Vieille Vigne Ambrée, le genre de breuvage qui se trouvait en général sur la table des princes et des rois. Anatael en servit deux lampées pour chacun et leva son verre pour trinquer :
— En ce jour, Corben, vous et moi entrons dans l’Histoire de ce monde. Vous serez célébré dans le monde entier et vous verrez que l’or n’est au final qu’une maigre récompense.
— Quand une bourse n’est pas maigre, c’est déjà une bonne récompense ! sourit l’ancien soldat. Mais oui, je vois ce que vous voulez dire.
Ils trinquèrent et burent leur verre. Le vin roulait dans le palais de Corben qui ne se souvenait pas en avoir goûté un aussi bon. Puis Anatael saisit le paquetage en forme de croix et fit sauter les cordages avec une dague, ôta le drap pour en révéler le contenu. L’épée qui se présentait sous les yeux de Corben faillit lui faire avaler son breuvage de travers. Cette couleur sombre, ces gravures sur la lame… était-ce possible ?
— Non, répondit le savant qui avait deviné les pensées de son compagnon. Ce n’est pas l’épée du Loup Noir. Mais je pense en avoir reproduit une réplique exacte. Elle fait le même poids, les dimensions correspondent ainsi que les runes. Il n’a pas été facile de trouver des documents qui décrivent l’arme de Palwynn avec exactitude, j’ai été obligé de dépenser une partie de mon héritage pour trouver toutes ces informations, mais le jeu en vaut la chandelle.
Délicatement, Anatael déposa l’épée au sol, à côté de la stèle, puis fit quelques pas en arrière, comme pour se cacher de la lumière des torches. Corben admirait l’épée, les yeux envieux, quand soudain une douleur lui foudroya le ventre. Il se courba en posant un genou à terre.
— Un problème ? résonna la voix du savant.
— Je ne sais pas, j’ai mal au bide.
— Vous avez pris un coup de froid mon ami. À moins que ce soit les feuilles de Perle de Noix que j’ai versé dans le vin…
Transpirant, Corben s’allongea dos au sol. Il était prit d’une puissante langueur qui ne s’estompait temporairement que lorsque les crampes revenaient.
— Qu’avez-vous… fait ? bredouilla-t-il dans un murmure.
— Je ne vous ai pas choisi au hasard, mon ami. Le rituel que je m’apprête à accomplir requiert un descendant du peuple d’Erolie. Son sang surtout.
— Ordure ! clama le guerrier entre deux toux. Je vais vous…
— Vous ne ferez rien du tout, Corben ! interrompit Anatael en revenant dans la lumière, sa dague en main. La Perle de Noix va vous endormir quelques instants et ma lame finira le travail. Dites-vous que vous faites partie d’un plan qui dépasse les moyens intellectuels d’un primate de votre espèce. Maintenant, cessez de bouger, je vous prie, que je vous prélève une bonne quantité de sang. On dit que le mieux est l’ennemi du bien, mais je ne suis pas certain que cette maxime s’adapte parfaitement à nos ambitions, mon cher ami.
Corben se retourna sur le ventre pour ramper en direction de la sortie. Des mouvements lents et imprécis, de plus en plus gourds et patauds à chaque battement de cœur. Son empoisonneur marcha à pas rapides pour lui bloquer le passage.
— Allons, cher camarade ! Il est possible que vous surviviez à ce rite. Vous comprenez que si je vous avais avoué que je devais vous saigner, vous n’auriez pas accepté cette mission.
Il entailla la cuisse du mercenaire. Le sang commença à gicler sur le sol, tandis que Corben hurlait de douleur. Avec une force qui contredisait sa faible musculature, Anatael saisit le pied de son compagnon pour le tirer vers l’arrière. Il l’amena avec difficulté vers la stèle, laissant couler le fluide dans le trou. Corben chercha à se débattre, mais quelques coups de pieds bien placés dans son visage le ravisèrent. Il accepta sa sentence. Bientôt, la fente de la sculpture déborda de sang. Anatael poussa délicatement Corben et lui tandis un bandage qu’il venait de prendre dans ses bagages, ainsi qu’une bouteille de gnôle.
— Nettoyez la plaie et pansez-la, ordonna-t-il. Vous voyez, je ne suis pas un monstre. J’avais juste besoin de votre sang et je n’en prendrais pas plus que nécessaire.
Faible, à bout de force, Corben glissa un regard à deux toises de lui, sur le sol. Il vit deux bouts de métal disloqués au fond de la glotte du géant sculpté. Il sourit un instant mais sombra ensuite dans l’inconscience ; la perte de son fluide sanguin conjugué au somnifère était trop fort. Il se réveilla un instant plus tard, pour constater que le savant préparerait le rituel. Il tenait la réplique de l’épée du Loup Noir en chantant des incantations.
Le guerrier sentait la fatigue revenir aussi vite, il saisit donc les affaires laissées par Anatael. Deux minutes après, sa blessure était désinfectée et sa plaie bandée. Il s’évanouit une seconde fois.

 

Combien de temps avait-il dormi ? Il l’ignorait. Au moins une demi-heure, s’il en jugeait à sa blessure qui collait à présent le tissu. Il était encore fatigué et à moitié conscient, mais ses yeux possédaient assez d’acuité pour voir la scène qui se déroulait devant lui, malgré la faible lueur des torches que l’homme des sciences avait remplacées. Anatael piochait ses doigts dans la stèle pour badigeonner l’épée de sang, traçant des lettres inconnues et oubliées depuis longtemps. Le savant, tout en dessinant, tourna la tête vers le blessé.
— Enfin de retour. Je vous avais dit que je voulais juste un peu de sang, je ne vous ai pas menti. Du moins, pas sur ce point…
— C’est-à-dire ? demanda Corben d’une voix faible.
— La réussite de ce rite aura un tel impact sur le monde que je doute que l’or est une quelconque valeur par la suite. En effet, si vous le désirez toujours, je vous donnerai une bourse conséquente. Mais je doute que vous puissiez vous en servir un jour.
L’ancien soldat se posta sur les coudes, les oreilles à l’affût. Il n’aimait pas perdre un butin.
— Précisez, je vous prie…
— Je m’apprête à réveiller une chose endormie. A-t-elle déjà vécue ? Fouler le monde de ses pas immenses ? Je n’en sais rien, les textes ne précisent pas cela. Les écrits trouvés dans ses vieilles bibliothèques mentionnent juste son existence. Il y en aurait plusieurs, toutes ne viendraient pas du même plan physique, mais ce Seigneur Antique est bien présent, là, ici-même.
— Un Seigneur Antique ?
— Des entités, continua Anatael. Des dieux, des monstres. Je n’en sais rien. Tout ce dont je suis certain, c’est que l’épée de Palwynn, avant que ce dernier ne la trouve, était plantée ici, dans cette stèle. C’est la Clef, le moyen de ramener cette fantastique créature dans le monde des vivants.
— Vous voulez dire que nous sommes à l’intérieur d’une gigantesque bête ?
— Endormie ! répondit le jeune homme. Fossilisée, morte… qu’en sais-je ? Ma seule certitude est que l’épée est le moyen de la réveiller. Et de la soumettre à ma volonté.
Corben tenta de se relever mais échoua lamentablement. Il tapa du poing sur la langue de pierre.
— Vous êtes fou ! hurla-t-il.
— Fou ? s’étonna son ancien ami. Au contraire ! Je m’apprête à unir ce monde sous la puissance que me procurera ce Seigneur Antique. Je conquerrai les royaumes pour les mettre sous mon propre giron. Il en sera terminé des guerres, des conflits. Et je trouverai le moyen de détruire les bestioles affreuses que nous avons croisées hier tantôt. Une nouvelle ère s’offre à l’humanité, Corben, et je saurai me monter généreux avec vous, d’une façon ou d’une autre. L’or ne vaudra plus rien car j’abolirai les systèmes monétaires, ainsi que les titres de noblesse. Chacun sera égal à chacun. Sauf pour ces imbéciles des quelques monastères qui m’ont humilié en prétextant que mes recherches étaient futiles, vaines et idiotes. Ce sera le seul sang que je verserai sans me soucier des conséquences.
Une exaltation traversa le corps de Corben. Après tout, pourquoi pas ? Un seul dirigeant pour ce monde, aidé par une créature aux proportions cyclopéennes pouvant détruire n’importe quelle armée et unifier l’espèce humaine…
Mais il désenchanta lorsque ses yeux croisèrent ceux du futur maître du monde. Anatael avait un regard démoniaque, l’homme était ivre de puissance et de vengeance, son règne se ferait sous le sang et les larmes. Il s’apprêta à se redresser, pour arrêter le prochain Fléau des Hommes, mais il retomba lourdement au sol. Sa blessure le lançait et se remettait à saigner. Soudain, il revit les deux morceaux de métal. Anatael esquissa un sourire, prit le pommeau de l’épée à deux mains, lame vers le bas, en direction de la stèle et murmura des incantations aux syllabes écorchées et terribles. Il planta l’arme dans la rainure, qui s’enfonça de moitié. Le monde trembla autour des deux aventuriers.
— Je suis celui qui a été, celui qui est et celui qui sera ! fit le savant en lançant un clin d’œil à son compagnon.
Aussitôt, la cavité de pierre se changea en matière organique. Les roches devenaient peau, les dents taillées se transformaient en ivoire et la glotte géante s’agita. Cela ne sembla pas perturbée Anatael… jusqu’à ce qu’une membrane veineuse sortit de la stèle pour lui attraper les deux bras qui tenaient l’épée. Une autre jaillit de nulle part pour lui enlacer la gorge tandis que d’autres arrivaient de tous les côtés.
Corben, pris de terreur, se releva aussitôt. Même faible, il parvint jusqu’à son employeur qui commençait à disparaitre sous les tentacules veineuses.
— L’épée n’en était pas une ! cria-t-il. C’était belle et bien une clef, au sens propre ! Vous voyez ces deux bouts de métal ? Ce sont certainement des résidus de l’arme légendaire du Loup Noir. Quelqu’un a tiré cette clef, ça a coincé et cassé. J’imagine que le tout a été reforgé en épée plus tard. Moi aussi, Anatael, je vais me montrer généreux avec vous.
Il planta sa pointe de métal dans le front du savant qui disparaissait sous les membranes. La langue sur laquelle il marchait, donc le sol, s’agita, le faisant chuter. Un cri affreux sortit du tunnel, de cette gorge maintenant vivante, et perça les tympans du guerrier qui porta sa main aux oreilles. Soudain, le peu de clarté que comportait la bouche du Seigneur Antique s’atténua. En se retournant, Corben vit que la mâchoire se refermait. Le guerrier se colla deux claques pour se réveiller et courut de toutes ses forces. Les soubresauts de l’organe musculaire sur lequel il marchait faillirent le faire tomber deux fois mais il parvint à garder l’équilibre. Avant que les deux rangées de dents ne se referment, il sauta au travers, manquant de se faire découper en deux. Il atterrit dans la neige en roulant sur lui-même. Il poussa un juron en constatant qu’il avait perdu son épée durant sa fuite mais se ravisa aussitôt : il avait autre chose à faire !

En effet, ce qui s’appelait jadis le Col du Crâne remuait dans tous les sens. De la peau rouge avait à présent recouvert la tête du géant de pierre. Ce qui servait de caverne ressemblait maintenant à une bouche pâteuse qui claquait et tout autour de lui, les roches roulaient. Il se précipita vers les chevaux, fit demi-tour à la roulotte pour rejoindre le pont de pierre. Quelques instants plus tard, l’ancien col se présentait sur sa droite et la vision de ce qu’il se passait l’horrifia : des épaules géantes avaient émergé de la montagne, le Seigneur Antique s’extirpait de ses millénaires d’emprisonnement de calcaire, de schiste et de granite.

Le fouet claqua dans l’air, l’attelage n’avait jamais roulé aussi vite. Corben se fichait de tuer les montures à la tâche, tout ce qui comptait en cet instant était de mettre le plus de distance entre lui et l’immense masse de chair qui venait de reprendre vie.

Il cavala deux heures durant, jusqu’à ce que l’un des destriers de gauche tombe d’épuisement. L’élan fracassa la carriole contre l’autre cheval à ses côtés qui chuta aussi. La roulotte chancela, comme hésitante, puis se retourna sur le toit dans un fracas épouvantable. Corben avait eu juste le temps de sauter et éviter ainsi de se faire écraser par le véhicule. Il roula sur une bonne dizaine de toises, ingurgitant involontairement de la neige au passage avant de se cogner le dos contre une grosse pierre qui cessa sa progression laborieuse et ridicule sur la pente blanche.
Il resta ainsi, presque dix minutes, adossé au rocher pour reprendre son souffle et réorganiser ses idées. Le constat était simple : le somnifère n’agissait plus mais sa blessure le faisait souffrir. Le voyage n’était déjà pas simple à roulotte, alors à pied avec une jambe blessée !
Cependant, il avait envie de vivre ! Il se redressa enfin, arracha d’un arbre mort une branche suffisamment longue pour en faire une béquille de fortune et marcha dans l’étendue de neige. Aracas ! S’il parvenait à Aracas, il avait une chance de survivre !

Il n’avait parcouru qu’une demi-lieue quand des tapotements retentirent dans la colline qu’il dévalait. Bientôt, cinq créatures, les mêmes qu’il avait déjà tuées, l’encerclaient, le toisant de leur œil maléfiquement unique. Une secousse le fit alors mettre genou à terre, suivie d’une autre et encore une autre. Un visage énorme, plus grand que la plus haute des maisons qu’il n’avait jamais vu, apparu de derrière l’éminence qu’il venait de descendre. Sans yeux, d’une peau à présent blanche et rugueuse, le Seigneur Antique l’avait rattrapé. Les créatures parurent se courber en signe de vénération. Mais Corben ne fut pas pris de panique, bien au contraire ! Il savait exactement ce qu’il fallait faire. Il sortit une lame de sa ceinture pour la porter à son cou.
— On n’a jamais assez de couteaux…

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