1.2 – Palwynn

01 - Part 2 - Palwynn LOWTexte : Pa Ming CHIU
Illustration : Radja SAUPERAMANIANE

Lorsque Palwynn se réveille, il met un moment à comprendre où il est. Puis les cadavres, le bruit de la rivière et de la forêt alentour l’aident à remettre ses souvenirs en place. La bataille entre les familles Asgeir et Varangr. Des idiots ces hommes du Nord. Ils ne pensent qu’à mourir pour rejoindre leur Valhalla où tout ne serait que festins et orgies en permanence. Des idiots. La mort, c’est juste finir dévoré par des charognards et pourrir dans la vase.
Des idiots mais des idiots qui payent bien. Donc peu importe.
En se relevant, Palwynn a la vue brouillée par du sang qui lui coule sur le visage. Il enlève son casque fendu et le jette à terre et démêle ses cheveux noirs collés par l’hémoglobine séchée. Il se débarrasse aussi du reste de sa vieille armure de fer qui est dans un état tout aussi piteux. Il a eu de la chance aujourd’hui. Il ne lui faut pas longtemps, en comptant les corps autour de lui, pour constater que les deux familles et leurs mercenaires se sont entretués jusqu’au dernier. Plus personne pour se rappeler l’origine de leur conflit ou chanter une victoire. Il ne reste que puanteur, chair froide et boue sanguinolente.
La seule gagnante ici est la mort. Elle semble avoir oublié Palwynn une fois de plus. Mais peut-être pas pour longtemps. Son crâne lui fait mal et il doit rapidement refermer cette plaie avant de se vider de son sang. Dans l’immédiat, il ne peut que se contenter d’un bout de tissu, arraché sur ses braies et enroulé autour de sa tête. Il lui faudrait quelques heures de marche pour rejoindre un endroit plus civilisé mais il n’y arrivera pas dans cet état, surtout que le froid de l’hiver commence à se faire mordant. Fort heureusement, les barques des Varangr ne sont pas loin et il y a des villages en bord de rivière à cinq ou six milles dans le sens du courant.
Après en avoir réquisitionnée une, Palwynn trouve la force de donner trois coups de rame puis s’écroule dans le fond de l’esquif et se laisse dériver à son bord, en espérant tenir jusqu’au prochain lieu habité. Mais très rapidement, le guerrier perd conscience.

Dans son sommeil enfiévré, il a des flashs de son enfance orpheline et misérable, où il devait survivre à la force de ses mains en pleine nature hostile. Une situation qui n’a finalement guère évolué.
Au mieux, le guerrier a connu quelques années plus heureuses lorsqu’il fit un bout de chemin avec la célèbre mercenaire Kinora Nildun, surnommée par tous « Kin ». Orpheline elle aussi et descendante du non moins célèbre seigneur de guerre Lorkis Nildun. Celle-ci lui apprit le maniement des armes, tout comme son père le lui avait appris. Il était toujours question de tuer. Mais tuer de manière réfléchie, stratégique, avec une précision et une efficacité maximale.
Cela faisait partie de la philosophie de la famille Nildun, qui était sans pitié dans les batailles. C’était la philosophie de la guerre totale. Vaincre par tous les moyens ou mourir. La victoire avant l’honneur. La victoire avant tout.
Kin lui apprit aussi à lire et à écrire et Palwynn découvrit un tout nouveau monde. Ils finirent par s’aimer. D’une passion dévorante. Il n’ose repenser aujourd’hui au goût de sa sueur sur sa peau, au parfum de ses longs cheveux couleur de feu sur sa nuque, à l’intensité de son regard transperçant le sien, à ses mains sur lui, à ses mains sur elle… Pendant un temps, Kin songea à faire autre chose que tuer son prochain pour se nourrir. Elle évoqua même l’idée de faire un enfant, mais Palwynn était totalement réfractaire à l’idée, refusant de porter le poids d’un tel fardeau dans ce monde hostile.
Et comme pour lui donner en quelque sorte raison, lors d’une énième bataille sans vainqueur, Kin tomba au combat à son tour et Palwynn se retrouva une fois de plus seul, terrassé par le chagrin. A croire qu’il n’y a que la mort et la solitude pour lui être fidèles.
Il dut alors se résoudre à tuer de nouveau pour subvenir à ses besoins. C’est encore ce qu’il savait faire de mieux et la rage des combats l’aidait à oublier sa peine…

Un choc réveille soudainement Palwynn. La barque vient d’échouer sur un rivage rocailleux. Pas de villages aux alentours. Juste une forêt face à lui et de blanches et écrasantes falaises. Il fait encore (ou à nouveau ?) jour mais le ciel est sombre. En tendant bien l’oreille, il n’entend que le clapotis de l’eau et quelques corbeaux.
Combien d’heures sont passées ? Palwynn n’en a aucune idée. En voulant changer son bandeau de fortune, il remarque que sa blessure a finalement cicatrisée. Une fois de plus, le guerrier a vaincu la mort. A moins que cela ne soit justement l’Autre Monde ? Celui dont parle tant d’hommes du nord ? Ils seraient bien déçus. Ni vin qui coule à flots ni nymphes avenantes en vue.
Palwynn met alors pied à terre et se fraie un chemin dans les bois, en essayant de lutter comme il peut contre le froid qui engourdit ses membres et une tenace sensation de nausée. Il se rend compte que dans sa hâte, il n’a même pas pensé à ramasser une arme sur le champ de bataille. S’il devait tomber à présent sur un ours affamé ou des voleurs, ce serait vraiment la fin.
Il repense aussi aux enseignements de Kin. C’est peut-être un signe du destin finalement qu’il soit parti sans arme et qu’il ait rêvé d’elle. C’est peut-être le signe qu’il doit enfin arrêter de se battre, le signe qu’il doit enfin faire autre chose… Mais alors que le chemin du guerrier débouche sur une clairière, ce dernier éclate de rire.
Peut-être bien que les Dieux existent finalement et qu’ils se moquent de lui.
Au milieu de la clairière, trône un espadon, une gigantesque épée à deux mains, enchâssé dans un non moins gigantesque arbre centenaire. Comme si celui-ci attendait Palwynn. Comme si les Dieux lui disaient « non, tu n’as pas fini de verser le sang. Tu nous dois encore un tribut ».
L’épée est d’une couleur noire atypique, usée, mais semble encore solide. Des symboles à moitié effacés, mais ressemblant à des runes, ornent la lame. Il n’avait jamais vu une telle arme. A qui pouvait elle bien appartenir ? Probablement un idiot d’homme du nord vu la façon dont elle est décorée.
Palwynn repart dans un fou rire et rit tellement qu’il manque de vomir. La tête lui tourne à nouveau.
Après avoir repris son souffle, il arrache l’espadon de l’arbre d’un coup sec. Celui-ci lui semble étrangement léger par rapport à sa taille imposante.  Maintenant qu’il a l’épée en main, il se sent également habité d’une force nouvelle et toute sensation de froid ou de malaise ont disparu. Probablement l’adrénaline se dit-il.
Palwynn attache ensuite l’arme sur son dos, en utilisant encore quelques bouts de vêtements, puis reprend sa route.  

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