1.4 – Retrouvailles

01 - Part 4 - Retrouvailles LOWTexte : Pa Ming CHIU
Illustration : Colombe FRETEL

Soigneusement cachée dans son arbre, Kin aperçoit le groupe de chasseurs de prime qui arrive vers la grotte. Ils sont fort peu discrets et ont déjà dû attirer l’attention de Palwynn, ou ne devraient pas tarder à le faire en tout cas. Très bien. Il n’y a plus qu’à les suivre discrètement tout en restant en hauteur et attendre le bon moment. Considérant leurs inexpériences et leurs épées courtes qui manquent clairement d’allonge face à Palwynn, les trois chasseurs ne devraient pas tenir bien longtemps. Après tout, c’est dans ce but qu’elle les a amenés ici.

Cela fait presque une semaine que Kin a retrouvé la trace de son ancien compagnon. Celui-ci a trouvé refuge dans une petite grotte en amont d’un col de montagne, perdue dans une vaste forêt de pins. Le découvrir dans cet état lui fait verser des larmes toutes les nuits depuis. La sorcière avait raison et Palwynn n’est effectivement plus qu’une bête sauvage. Il n’a d’ailleurs quasiment plus de vêtements sur la peau, et le peu qui lui reste n’est en réalité que lambeaux de tissus sales et informes. S’il n‘avait cette maudite épée entre les mains, il ressemblerait plus à un animal qu’à un homme. Depuis combien de temps erre-t-il dans cet état ?
Il a minci depuis la dernière fois où elle l’a vue. Si elle en croit la chamane, cette perte de corpulence est forcément antérieure à la malédiction qui a figé son corps à jamais. Kin ne peut donc s’empêcher de culpabiliser pour cela aussi. Peut-être s’est-il laissé aller à cause du chagrin qu’elle lui a infligé.
Son visage était déjà taillé à la serpe, avec une mâchoire presque féminine et étonnamment petite pour un homme, mais ses joues semblent plus creusées qu’avant. Ses cheveux noir corbeau sont plus courts aussi, mais tombent toujours sur ses oreilles et un peu sur ses yeux. Ce sont ces derniers que Kin a le plus eu du mal à reconnaître. Ce regard fou est certainement ce qui lui serre le plus le cœur. C’est comme si Palwynn n’était plus qu’une coquille vide, comme s’il n’était plus là.
Bien évidemment, lorsqu’elle l’a confronté, celui-ci ne l’a pas reconnue et elle n’a eu d ‘autre choix que de fuir devant sa rage meurtrière aveugle.
Kin savait qu’elle n’y arriverait pas seule. Pour avoir une chance de lui passer les menottes ensorcelées, elle avait besoin d’une diversion. Des chasseurs de primes feraient l’affaire, surtout que Palwynn, plus connu à présent sous le sobriquet de Loup Noir, était déjà très largement recherché. Elle n’avait plus qu’à sillonner les tavernes des plus proches cités et villages, trouver un petit groupe en manque d’or ou de reconnaissance, ambitieux mais pas trop aguerri, et leur glisser un tuyau pour les aiguiller dans la bonne direction. Ça, c’était la partie facile.

Kin commence cependant à douter de son choix. Certes, c’est une bonne chose que ces trois chasseurs ne soient pas finauds. S’ils avaient été un tant soit peu malins, ils se seraient organisés pour attirer Palwynn dans un piège préparé en amont, afin de le tuer une fois celui-ci paralysé. Au lieu de ça, ils y vont de front, apparemment convaincus que leur supériorité numérique va suffire pour submerger leur proie. Ils oublient de prendre en compte la capacité d’arrêt et la portée de son arme, alors que des descriptions en ont été faites pourtant dans les avis de recherche. Ou peut-être sous-estiment-ils juste la capacité du porteur à la manier. Ce qu’on peut leur pardonner. Manier cette arme avec une telle aisance n’a rien d’humain…
Il ne faudrait toutefois pas que ces imbéciles meurent trop vite. Pour ce qu’elle a à faire, Kin a besoin d’une fenêtre d’action. La seule façon de rendre une telle épée inefficace, de désamorcer l’effroyable puissance engendrée par son poids et sa taille, est de rentrer au plus vite dans sa garde pour être collée à son porteur et s’accrocher à lui. S’il n’arrive pas à repousser cette étreinte, ce dernier sera alors obligé de lâcher l’arme pour utiliser ses mains nues. Dans une logique d’efficacité, il cherchera à attraper sa gorge pour l’étrangler. A ce moment-là, elle pourra lui mettre les menottes.
Mais pour rentrer dans cette garde, il faut que Palwynn soit concentré sur autre chose. Le fait qu’il utilise l’Œil le rend d’autant plus difficile à surprendre. Et pour qu’il soit concentré, il faut que les chasseurs opposent un minimum de résistance.
En les observant bien, elle se dit qu’elle peut peut-être miser sur le plus costaud des trois, qui porte une armure lourde. Il a l’air plus prudent, plus effrayé peut-être. Il avance un peu moins vite que ses camarades et d’un pas moins décidé. Avec un peu de chance, il va peut-être se dégonfler et partir en courant s’il voit ses compagnons se faire déchiqueter. Ce qui serait parfait. Si Palwynn le prend en chasse, il sera plus facile de trouver cette ouverture.

Alors que les chasseurs arrivent à destination, Kin se tient prête. Elle le sait, tout va aller très vite dès que la première attaque sera portée. Il n’y a guère que dans les entraînements, les spectacles ou les duels judiciaires entre partis peu doués que les joutes s’éternisent. Dans la réalité, un combat à mort impliquant de véritables tueurs ne s’embarrasse d’aucune politesse ni d’aucune forme esthétique et ne dure que rarement plus d’une minute ou deux.
Soudain, les chasseurs se figent. Ils aperçoivent Le Loup Noir qui les attend devant l’entrée de la grotte et ce dernier vient de se lever.
Plus un son, si ce n’est de petits bruits de branches au sol qui craquent sous des pas timides. La tension est palpable chez les chasseurs qui, tout en continuant à se rapprocher, se mettent à tourner autour du guerrier mais semblent hésiter à attaquer. Après les avoir observés un par un, Palwynn baisse le regard. Ce qui signifie qu’il n’utilise plus ses sens mais l’Œil. Les chasseurs pensent alors, à tort, qu’il baisse sa garde.
Puis le cri rauque de l’un d’eux rompt le silence.
Kin s’étonne toujours de ce besoin chez certains de hurler pour se donner du courage. Elle n’y voit qu’une perte de souffle inutile.
Et comme elle l’avait prévu, les deux chasseurs les plus en avant et sur les côtés chargent en même temps, mais en revanche, le costaud se montre moins couard (ou plus idiot) que prévu et leur emboite le pas. Palwynn bondit alors vers l’avant et, esquivant ainsi les deux coups d’épées qui arrivent sur ses flancs, plonge sur le costaud pour lui porter une attaque d’estoc au cou, pile dans l’interstice non protégé entre le casque et le plastron. Cela lui fait voler instantanément la tête quelques pieds plus loin, comme si celle-ci n’était qu’une pomme posée sur un piquet arrachée par une flèche.
Kin, qui se rapproche pendant ce temps à son tour en sautant d’arbre en arbre, sans en perdre une miette, se dit qu’avec une telle force et une telle vitesse, il aurait pu frapper directement dans l’armure, il l’aurait quand même embroché.
Son cœur s’emballe. C’est maintenant que tout va se jouer.
Palwynn se tourne ensuite vers les deux autres chasseurs, abasourdis par ce qu’ils viennent de voir et encore déséquilibrés par l’élan de leurs attaques ratées, puis l’immense espadon fend l’air horizontalement et coupe immédiatement en deux l’un des chasseurs au niveau de la taille.
L’autre qui est parvenu à sauter maladroitement en arrière pour éviter l’attaque se retrouve au sol, empêtré dans des herbes et ronces sauvages.
Il n’a pas le temps de se relever que Palwynn est déjà en l’air au-dessus de lui.  Une autre personne est également dans les airs au-dessus de Palwynn. Kin a trouvé son ouverture. La seule possible pour que le guerrier n’ait pas le temps de réagir malgré l’Œil.
C’est donc avec le poids de deux personnes, dont une qui tombe d’une dizaine de pieds depuis un arbre, que l’épée géante s’enfonce dans le torse du chasseur et plante une bonne partie de ses organes digestifs et respiratoires dans la terre.
S’adaptant à la configuration des événements, Kin a laissé les menottes dans sa besace et veut tenter de passer la chaîne autour du cou de Palwynn, mais la violence de l’atterrissage manque de lui faire perdre le précieux artefact ensorcelé qu’elle ne rattrape que de justesse.
Palwynn, qui semble moins affecté par le choc, réagit tout de suite à cette présence indésirable dans son dos, et laissant sa lame dans le chasseur, se retourne en faisant basculer la jeune femme avec lui au sol. Celle-ci se débattant énergiquement, Il essaye de mordre sa carotide mais ses dents ne trouvent que la base de sa nuque. Il mord cependant assez fort pour arracher un cri de douleur à Kin, avant que celle-ci ne parvienne à libérer ses bras et à enrouler enfin la chaîne autour du cou de Palwynn.
Alors qu’elle serre les maillons à en rougir ses mains, tout en prenant soin de ne pas trop forcer l’étreinte pour éviter un étranglement, elle prie tous les Dieux que la sorcière savait ce qu’elle faisait.
Le guerrier finit par relâcher sa morsure puis s’immobilise. Il faut quelques secondes à Kin pour reprendre son souffle et comprendre qu’elle a réussi.
Le Loup Noir est à présent apaisé et Kin peut sentir sa chaude respiration sur sa nuque endolorie.
Suite à la pression qui retombe, elle fond en larmes, avant d’éclater de rire en serrant, de toutes ses forces cette fois, l’homme qu’elle aime dans ses bras.

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