1.5 – La Femme-Renarde et le Loup Noir

01 - Part 5 - La femme renarde et le loup noir LOWTexte : Pa Ming CHIU
Illustration : Radja SAUPERAMANIANE

La chamane se moquait de Kin en disant qu’elle deviendrait une femme-renarde, un dangereux esprit féminin, immortel et doté de pouvoirs magiques, dépeint dans les contes et légendes d’Orient. De simples fables rapportées par des voyageurs et des commerçants, pensait la mercenaire. Mais aujourd’hui, elle se dit que les vieilles histoires sont peut-être empreintes de vérité. Sa blessure est déjà totalement guérie, alors que ça fait moins de trois heures que Palwynn lui a infligé celle-ci. En attendant de vérifier s’il va vieillir ou non, il semblerait que son corps ait acquis une impressionnante capacité de régénération.
L’immortalité. Vraiment ? Kin tourne ce mot dans sa tête, sans savoir trop quoi en penser. Elle se sent à la fois excitée et anxieuse à l’idée que cela puisse être vrai. Quelle ironie pour quelqu’un qui voulait se faire passer pour morte de devenir immortelle…
En tout cas, outre ce qu’elle a constaté avec sa guérison accélérée, elle ne se sent pas du tout différente. Elle a faim et elle a soif. Elle a ressenti la fatigue et l’engourdissement dans ses bras après avoir enterré les corps des trois chasseurs sous la pluie, elle a frissonné au froid du soir qui commençait à tomber et glaçait ses vêtements trempés, et son corps nu se délecte à présent de la chaleur du feu qu’elle a allumé dans la grotte.
Dehors, la pluie se fait de plus en plus forte. Un léger courant d’air brasse une agréable fragrance de pins et de terre mouillée.
Kin observe l’homme qui est attaché à elle via des chaînes et des menottes. Il est assis calmement et ne dit mot, les yeux dans le vague. Le regard de Kin s’embrume à nouveau. Existe-t-il un moyen de lui rendre la raison ? Son agressivité retirée, que lui reste-t-il ? De quoi a-t-il vraiment conscience ? Souffre-t-il intérieurement ? Peut-elle essayer de communiquer avec lui dans cet état ?
Mon amour ?
Pas de réponse. Il ne lève même pas les yeux vers elle.
— Je ne sais pas si tu m’entends vraiment mais je dois te dire… Je… J’attendais un enfant de toi.
Toujours aucune réaction.
— C’est pour cette raison que je ne voulais pas que tu viennes avec moi sur ce contrat. C’est pour cette raison que j’ai disparu ce jour-là, que j’ai payé des gens pour témoigner de ma mort et semé de faux indices… J’ai été égoïste et je m’excuse du chagrin que je t’ai infligé… Mais vois-tu, je voulais vraiment donner une chance à cet enfant. Je savais que tu ne le désirais pas, on en avait longuement débattu… J’étais alors convaincue que tu aurais tout fait pour que je ne l’ai pas. Et par amour pour toi, j’aurai peut-être fini par céder… Peut-être me suis-je trompée là-dessus aussi, peut-être aurais-je dû avoir plus confiance en toi…
Quoi qu’il en soit, le destin m’a punie. J’ai perdu l’enfant quelques temps plus tard, avant qu’il n’arrive à terme… Et si la sorcière dit vrai, mais elle ne se trompe visiblement jamais, je ne pourrais plus en avoir à présent…
Les larmes coulent à présent sur les joues de Kin. Et bien qu’elle ne le voit pas, cela semble attirer l’attention, ou tout du moins la curiosité de Palwynn.
— Cela n’excuse en rien ce que je t’ai fait, mais je ne savais pas que tu m’aimais à ce point. Ce n’est que des années plus tard que je l’ai appris, en entendant des histoires que des mercenaires qui te connaissait me rapportaient. Ce n’est que là que j’ai appris la façon dont tu l’avais vécu… Je pensais t’aimer plus que tu ne m’aimais, j’ai eu tort… Je n’avais pas conscience de ce que je représentais pour toi… Et peut-être pas vraiment conscience non plus de ce que tu représentais pour moi… Dès lors, je n’ai cessé de chercher à te retrouver. Pas pour que tu m’aimes à nouveau. Je savais que je ne le méritais pas. Mais toi, tu méritais de savoir la vérité. Et si, dans ta colère, tu avais voulu prendre ma vie, je te l’aurais volontiers accordée, je t’aurais tendu la lame pour… Dans un certain sens, c’est arrivé. A défaut de me la retirer, tu possèdes ma vie maintenant… Cette malédiction, cette chaîne et ces menottes nous lient plus qu’aucun vœu ne saurait le faire.
En relevant la tête, Kin remarque enfin que Palwynn l’observe. Elle saute alors à son cou et l’embrasse, le cœur battant d’un fol espoir.
— Tu m’entend alors ! Tu m’entends vraiment ! Comprends-tu seulement ce que je te dis ? Comprends-tu comme je t’aime ?
Le regard du guerrier est à présent moins vide et semble exprimer une sorte de mélancolie. Il ne fait pas que la voir, il la regarde vraiment dans les yeux.
— La sorcière l’avait dit ça aussi ! Elle avait dit que le lien t’aiderait peut-être à retrouver des souvenirs ! Je vais te parler tous les jours ! Tous les jours jusqu’à ce que tu me reviennes réellement et entièrement !
Le couvrant alors de baisers, leurs deux corps nus entrelacés, Kin constate que Palwynn est également encore capable de la désirer, que leurs corps s’appellent toujours.

Cette nuit-là, elle lui fît l’amour. A la seule lumière des flammes, à la seule cacophonie de l’orage grondant et de la chaîne tapant contre le sol rocailleux et les corps, cela eut tout l’air d’une liturgie maléfique. Elle lui fît d’abord l’amour sauvagement, comme pour évacuer un trop plein de désir, puis ensuite avec tendresse et en pleurant. Était-ce des larmes de joie ou de tristesse. Nul ne le saura jamais. Le savait-elle elle-même ? Quoi qu’il en soit, après cette nuit, Kin ne pleura plus jamais.

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