Texte : Pa Ming CHIU
Illustration : Radja SAUPERAMANIANE
La première fois, il y a quelques mois de cela, Kin crut à un mirage, à une illusion d’optique, à un mauvais tour de son esprit. Cette fois, elle se demande si elle n’était pas en train de perdre la tête pour de bon, bien qu’une telle hallucination n’ait absolument rien en commun avec les symptômes des crises d’angoisses et autres passages à vide qu’elle avait pu expérimenter par le passé.
La première fois, l’apparition fut furtive et disparut immédiatement derrière une montagne. Cette fois, elle peut l’observer tranquillement, longuement.
Et non, elle n’a pas assez d’imagination pour que son cerveau crée une pareille abomination, se dit-elle.
Le géant a une forme humanoïde, mais son corps atrocement maigre est de couleur blanchâtre, ses jambes sont démesurément allongées et il n’a ni bras, ni de tête, ni même de cou d’ailleurs. C’est juste un torse décharné tenant sur des tiges qui se promène. Et surtout, cet être improbable et cauchemardesque est aussi haut qu’une montagne. Le regarder au loin enjamber des hectares de relief dans sa lente marche silencieuse est proprement effrayant. A vue de nez, il doit bien faire cinq-mille ou six-mille toises de haut. Des milles de haut en tout cas. Par quelle sorcellerie un colosse pareil peut-il marcher sans faire le moindre bruit d’ailleurs ? Malgré la distance, ses pas devraient s’entendre jusqu’ici non ? Et surtout, par quelle sorcellerie peut-il avoir une taille aussi disproportionnée ?
Kin douterait encore plus de sa raison, si l’étrangeté de cette vision ne se recoupait pas avec une récente expérience plus palpable, lorsqu’elle et Palwynn ont dû affronter un monstre non moins absurde la semaine dernière.
Ils étaient en train de chasser dans leur forêt, tout comme aujourd’hui mais plus en aval, lorsqu’ils tombèrent sur une créature en train de dévorer le cadavre d’un cerf.
Celle-ci était d’apparence arachnoïde mais faisait deux fois la taille du cervidé et sa tête n’avait rien de la tête d’une araignée. Dépourvue de yeux, ce n’était qu’une immense mâchoire faite de longues dents tranchantes. A chaque morsure dans sa proie, c’est comme si elle lui plantait une trentaine d’épées et, au bruit effroyable que cela faisait, broyer les os et les avaler ne lui posaient apparemment pas de problèmes.
Ce spectacle ne dura que quelques secondes. La bête immonde repéra rapidement la présence de Kin et Palwynn, et se rua vers eux.
Kin, qui doutait d’avoir la puissance d’arrêt nécessaire, fit sauter immédiatement les menottes de son compagnon. Ce dernier dégaina son lourd espadon sans se précipiter et le maintint derrière son dos en le tenant à deux mains, pris ses appuis fermement sur le sol et lorsque le monstre arriva sur lui, il abattit le tranchant de son arme sur sa tête dans un puissant coup horizontal, tel un coup de massue. La créature fut stoppée aussi net que si elle s’était encastrée toute seule dans un mur, et avant de retomber lourdement, l’arrière de son corps se cambra tellement en avant qu’on aurait pu croire qu’il allait se rompre en deux.
Étrangement, pas le moindre jet de sang, malgré la violence du coup porté.
Puis après quelques soubresauts nerveux, la créature cessa de bouger et commença à fondre. Comme si l’intérieur de son corps se remplissait soudainement d’acide. Après quelques minutes, il n’en resta plus qu’une large flaque visqueuse.
Une véritable aberration de la nature. Si tant est que la nature ait quelque chose à voir là-dedans. Presque autant que celle qui se présente devant Kin et Palwynn aujourd’hui.
Alors que le géant disparaît peu à peu à l’horizon, Kin se demande ce qui a bien pu se passer dans le monde. Comment sont apparues de telles choses ? Et depuis combien de temps ?
Elles ont en tout cas un point en commun : l’absence de visage ou de yeux. Et pourtant, elles semblent n’avoir aucun souci pour se repérer. Elle sait bien que certains animaux, les chauves-souris par exemple, compensent avec d’autres sens. Mais considérant l’anormalité de ces créatures, elle penche plutôt pour une utilisation de l’Œil.
Elle et Palwynn ne sont probablement plus en sécurité ici. Est-il d’ailleurs encore possible de l’être quelque part avec des titans qui enjambent des montagnes ?
Le temps est venu de voyager à nouveau pour en savoir plus… Le temps est venu de parler à nouveau avec d’autres êtres humains… pour peu qu’il en reste.
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