Texte : Laura CORTES
Quand la Guerre a brisé notre réalité, nous jouions les deux mains posées sur le ciel. Bruits de jeux inconscients, souffle apaisant de la terre. Grondement des cieux qui se brisent.
Et l’Oeil qui nous regarde. Juge qui mourra ou survivra bientôt.
La terre des humains offerte comme d’un sacrifice ultime. Un ciel de sang baigné par nos yeux brisés.
Corps qui tombent, visage dans la terre, souffle de cadavres en devenir.
Et nos mains sur les murs qui se brisent, les mains qui volent vers les cieux.
Et l’Oeil qui ne pleure pas. Pas pour notre sang.
Mains sur tes mains, mains sur les corps en sang. La violence gronde comme la colère dans mon corps.
Silence.
Le ciel est tombé. La Guerre a ravagé le monde d’avant. Ciel, famille, vie, que tout ne soit que mort et désolation.
S’élèvent alors des cieux la Femme-Renarde et l’Homme-Loup. Puissants, rayonnants, éternels. Nos yeux habitués à la pénombre qui se tourmentent à recevoir le salut de ces êtres immémoriaux…
Lorsqu’elle se réveilla, cinq paires d’yeux brillaient dans la pénombre. Elle n’eut pas le temps de crier qu’autant de mains s’abattirent sur elle pour la saisir.
— Vos mots ont été entendus et ont été jugés comme dangereux. Vous êtes la prochaine à honorer la Boîte.
Elle hurla. Que pouvait-elle faire d’autre ? A chaque rêve, elle devenait de plus en plus faible. Cela faisait des semaines qu’elle voyait encore et encore de ces images. Visions ou hallucinations ? Fiévreuse, elle n’arrivait plus à tenir debout, mais s’accrochait à ses songes qui semblaient venir d’un autre temps. Elle tituba, et manqua de se prendre les pieds dans son unique draps lorsqu’ils la soulevèrent brutalement par les aisselles. Ils la menèrent hors de sa minuscule demeure.
Elle savait qu’ils allaient la contraindre à se taire, à cesser de répéter que l’espoir… Non ! Le renouveau arriverait bientôt sous la forme d’une Renarde et d’un Loup par delà la forêt.
L’aurore mordait l’horizon. Malgré ses cris de protestation, les autres habitants feignaient le sommeil, car le repos de l’innocence prévaut sur l’éveil de la connaissance pour ces gens-là. Alors qu’elle, elle savait.
— Que l’Oeil m’en soit témoin ! Tous, ici, vous courez à votre perte. Prenez garde, bien pire est à craindre qu’une femme qui ne fait que dire ce que les ténèbres lui murmurent ! La Femme-Renarde et l’Homme-Loup vont…
Sa tête s’écrasa sourdement. Son corps s’écroula dans la poussière. Une douleur aiguë se propagea dans ses reins. L’un de ses ravisseurs venait de lui asséner un coup de bâton. Elle rit intérieurement. Paroles trop dramatiques pour une femme qui avait vécu une existence de misère. Elle n’eut le temps de réaliser qu’un second coup fondit sur elle. La nuit noire de l’inconscience voila ses yeux, qui en savaient trop.
Lorsqu’elle reprit connaissance, elle constata que l’on lui avait retirée sa robe de nuit. Une matière visqueuse recouvrait son corps. Elle ne pouvait plus bouger, debout, comme dans un tombeau vertical : La Boîte.
La voici donc à l’intérieur de cette étrange structure de l’Ancien Temps. Faite d’une matière grise et froide, plus solide que la roche, résistante aux flammes et aux éclairs, elles étaient disséminées au travers du monde. Objet témoignant d’un temps oublié ou création des dieux abandonnée sur terre pour punir l’humanité ? Les anciens du village perpétuaient la croyance que cette Boîte permettait d’obtenir protection et chance pour les années à venir. Mais seulement si elle engloutissait par le feu un hérétique. Alors, elle, avec ses rêves étranges, était toute nommée pour s’y retrouver enfermée. Mais comment rester silencieuse, malgré la menace, alors qu’elle voyait toutes ces choses ? Comment laisser son prochain dans l’ignorance de telles images ?
— Vous êtes accusée et jugée de sorcellerie. Que votre esprit perverti ainsi que votre corps possédé disparaissent et retournent au néant. Que vos paroles corrompues nous offrent le silence de la paix.
L’un des cinq s’approcha, flambeau en main. Sa lumière perçait les ténèbres décroissantes. Un pas, un autre. Et le geste fatidique. Elle suffoqua. Tout n’était plus que lumière et chaleur. La Boîte la dévorait. Elle se fondait, digérée par cette chose monolithique. Tant de douleurs, trop de souffrances… Soudainement, ces images qui la hantaient depuis tant de nuits furent enfin limpides. Fallait-il être à l’orée de sa mort pour décrypter les messages de l’au-delà ? Elle voulu ouvrir la bouche. Mais ses lèvres, fondues, scellèrent sa parole. Alors, réunissant ses dernières forces, elle déchira la chaire qui clôturait la vérité et déclama :
— Fixez la forêt, regardez au Sud, la Femme-Renarde viendra ! Et son fidèle Homme-Loup l’accompagnera ! Témoins Sauveurs ! Amants Guerriers ! Mortels Immortels ! Notre terre les a portés en son sein pour nous les délivrer ! Attendez-les et abandonnez ces traditions barbares ! Au nom de l’Oeil je vous en conjure, n’accueillez pas par le sang ceux qui défendrons notre monde …
Sa voix se brisa, ses cordes vocales ne purent plus que laisser passer un sifflement rauque. Rien n’était plus clair et évident maintenant…que les ténèbres infinies qui l’engloutirent. Ses yeux paupières ne résistèrent plus à la chaleur et scellèrent à jamais sa vision. Elle se répéta alors, comme une comptine pour s’endormir…
S’élèvent alors des cieux la Femme-Renarde et l’Homme-Loup…
Puissants, rayonnants, éternels. Nos yeux habitués à la pénombre qui se tourmentent à recevoir le salut de ces êtres immémoriaux…
Par delà la forêt les immortels s’éveillent à ce nouveau monde…
Tristes nouveau-nés d’une terre dévastée…
Kin et Palwynn…