17 – Roar – part. 3

Texte : Alyciane CENDREDEAU

La nuit passa, puis les jours d’après. C’était un matin glacé, alors que l’aube pointait encore timidement ses rayons. Le départ se sentait proche, même si les monstres avaient laissé du répit aux mortels de la lande. Seul l’esprit du Renard hantait encore les cauchemars des habitants ; ceux de Plum aussi. Une main osseuse effleura la joue de cette dernière, la tira lentement du pays des songes.
— Nous devons partir… murmura une voix sombre.
C’était Roar, tapis à côté d’elle et déjà préparé, qui semblait observer les alentours. Rien ne laissait pourtant présager un problème : la lumière naissante chassait les derniers bouts de noirceur, réchauffait l’air gelé. Au loin, pas un cri, pas un souffle, tout était parfaitement calme. Quelque chose gratta à la porte, sans doute un petit rongeur aventureux. Roar attrapa une de ses lames coincées sur son flan entre deux larges bandes de cuir, la bloqua au creux de sa main et rampa jusqu’au loquet. Il effleura le bois du bout des doigts, puis posa son index sur ses lèvres, incitant la petite fille à rester muette. Enfin, il poussa à peine le battant, laissa entrebâiller la porte doucement. Une chose derrière s’agita. Une forme longue et visqueuse se glissa d’un coup dans l’ouverture, poussa tout à fait le pan de chêne pour rentrer. C’était une sorte de grand serpent étrange, grisâtre, sans tête – comme tous les monstres du nouveau monde – , mais avec une vaste gueule remplie de trois rangées de dents acérées et pleine de bave immonde.
Plum voulut crier, mais l’homme lui couvrit la bouche d’un geste vif. Il l’attrapa sans bruit, la serra contre lui, la cachant presque derrière l’un de ses pans de tissu. La bête rampa plus près d’eux, cherchant de quoi mordre, suivant son instinct à défaut de ses yeux. On n’entendit plus que le claquement de ses canines et le chuintement répugnant de sa gorge. Soudain, un râle. Transpercée de part en part par l’un des dards de l’assassin, la créature s’effondra. Un liquide noirâtre se répandit, gicla quand le crochet d’os ressortit de la plaie béante. Plum recula un peu plus en gémissant, mais Roar lui rappela de se taire. D’un geste encore, il lui ordonna de ne pas bouger, puis passa enfin la porte, jeta un œil vers le passage extérieur grand ouvert.

Un cri retentit plus loin.

L’attaque avait sans doute commencé pendant la nuit, mais n’avait pas encore réveillé les derniers survivants. Le cri continuait de résonner devant l’une des maisons de fortune. Soudain, le hurlement s’étouffa. A cotée, des dizaines de créatures serpentines se ruaient vers les quelques habitants qui, groggys par le sommeil, n’avaient pas encore eut le temps de fuir. Traversant l’enclos fortifié à travers les cris paniqués, Roar taillait à tour de bras, piquait à tour de pointe, formait un chemin dans l’emmêlement des créatures visqueuses. La petite le suivait, restait sous sa cape de cuir en se masquant la bouche.

Une flamme apparut soudain, tomba sur l’une des bêtes et la découpa. Roar plissa les yeux, surpris. Une flamme qui coupe ? Quelle amusante sorcellerie… Il s’avança un peu plus vers le mirage, distingua enfin ce qui était plutôt une silhouette. La même silhouette de l’esprit Renard, mais plus petite, plus réelle. Celle d’une femme à l’aura étrange et à la longue chevelure rousse. L’assassin sourit aussitôt, renifla l’odeur de la dernière fois mêlée de malédiction et de sang. Il se rua vers elle. L’une de ses lames claqua contre une autre. Il grogna de plaisir, enchanté de trouver de la résistance.
— Pourquoi tu t’attaques à ces humains, Renard ?
La femme recula, surprise. Elle était belle, presque irréelle, et le toisait d’un air farouche. Elle ne le craignait pas et ne semblait pas s’inquiéter des monstres qui les encerclaient. Enfin, elle serra le manche de son épée courte, mordit ses lèvres rouges d’agacement.
— Je n’vois pas de quoi tu parles. Tu es quoi ?
Roar replongea sur elle, plus par curiosité que pour la tuer. L’un de ses membres arachnéen tenta de l’éventrer, mais elle l’esquiva d’un bond. Le jeune homme continua de sourire, ravi. Il relança sa dague vers l’avant, chercha à écorcher son si joli visage. A nouveau, un choc, une résistance qu’il ne connaissait pas.
Un hurlement terrorisé le tira de sa fièvre. Il jeta un œil derrière lui. Plum ! Il l’avait complètement oubliée. La petite fille était bien là, les yeux cachés derrière sa poupée de bois. Elle était tombée par le poids d’une des créatures écailleuses, manquant de se faire dévorer le flan. Roar se précipita sans réfléchir, sauta vers l’enfant et écarta d’un coup de lame la bête.
De l’autre côté, sa patte rencontra violemment l’épée de la Renarde. Cette dernière éclata de rire.
— Tu es un pillard ? interrogea-t-elle, en se reculant d’un pas.
Le jeune homme se retourna, son membre osseux et blessé se recroquevillant dans son dos.
La femme jeta un œil sur cet étrange appendice qui n’avait rien à faire là, fixa un instant le deuxième qui restait menaçant au-dessus de son ennemi.
Roar reprit son souffle.
— Je les protège…
La femme éclata à nouveau de rire.
— Les protéger ? Vraiment ? nargua-t-elle en balayant son regard autour d’elle.
Tout autour ne régnait plus que le chaos. Des derniers survivants ne restaient que quelques morceaux déchiquetés, dévorés avec hargne par les monstres serpents. Ces derniers s’étaient attroupés en nids grouillant, aussi grands que de petits arbres, fouillant les maisons éclatées. Roar était inquiet, et la femme perçut sans aucun doute la peur dans son regard.
— Ce n’est pas le bruit qui les attire, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, intriguée.
L’assassin pencha la tête sans comprendre. D’une main, il tira Plum, la plaça contre son dos. Pourtant, il ne quitta pas un instant la Renarde du regard. Il était à terre, donc forcément en état de faiblesse. Toutes ses défenses étaient tombées, seul son unique dard la tenait éloignée.
A sa droite, un autre serpent s’apprêtait à ruer.
La Renarde sauta sur lui, comme un vif éclair orangé. Elle était si proche que ses mèches rousses enflammèrent ses joues, les chatouillèrent au souffle du vent. D’un revers, elle avait écarté la bête qui le menaçait. De son côté, il s’était encore reculé, avait déplacé son crochet juste en dessous de sa délicate gorge. Elle ne frémit cependant pas, ce qui le fit sourire.
— C’est comme ça que tu me remercies ? gronda-t-elle doucement.
Le sourire de Roar se fit plus large, plus malicieux. Plus malsain, peut-être.
— Je ne remercie jamais, souffla-t-il.
Sa pointe remonta un peu plus, voulu se planter dans sa trachée. Elle n’en eut pas le temps. Une énorme lame frappa, trancha nette sa queue menaçante. Roar gémit de douleur, tomba à moitié sur la petite fille qui ne bougeait plus en dessous de lui. Des fourrées sortit alors une ombre terrifiante, encrassée de magie noire qu’il arrivait à percevoir. Il trembla tout à fait quand il vit l’armure d’un homme – ou ce qu’il en restait – , approcher.
— Tu… tu n’étais pas seule… ? murmura l’assassin, pétrifié.
La Renarde s’accroupit, bloqua son genou sur sa poitrine pour l’immobiliser complètement. Elle sourit légèrement, glissa ses longues mains sur son torse. Il ne comprit pas tout de suite, puis la vit enlever ses dagues avec dépit.
— Tu ne l’as pas ressenti, protecteur ? répondit-elle, un léger sourire en coin. Les humains ont bien changé, depuis la dernière fois que j’en ai vu…
Elle continuait de l’observer, d’étudier l’étrange membre de chaire découpé et lui tout entier.
Une voix gémissante sonna enfin en dessous d’eux.
— Le monstre…
C’était Plum qui, à moitié assommée, avait rouvert les yeux. Elle s’était complètement figée, ignorant la discussion au-dessus d’elle, fixant avec terreur l’autre créature qui accompagnait la Renarde. Elle l’avait déjà ressenti, et elle le voyait maintenant tel qu’il était : une créature aux allures d’homme, un monstre horrible entouré de noirceur. Engoncé dans une grande armure, il balayait son épée et découpait les serpents sans peine, faisant teinter les bracelets de chaînes à ses poignets. La femme lui jeta un œil, lui ordonna brièvement de faire le ménage. Elle se releva enfin, laissant Roar faire de même. Ce dernier se mit douloureusement à genoux, gardant toujours une main sur la petite fille derrière lui. Ses longs cheveux noirs frôlaient le sol, son souffle se faisait plus hasardeux. Sa vie ne tenait qu’à un fil. Il sourit cependant encore une fois, cherchant en vain une dernière lame qu’elle n’aurait pas vue.
— Que voulez-vous ? osa-t-il enfin.
La jeune femme lui jeta un regard distrait. Elle s’était écartée, étudiant les alentours dévastés et couverts de sang. Roar ne prit pas le temps d’attendre sa réponse ; il bondit d’un coup, comme un diable sur un ressort. La Renarde, surprise, n’eut que le temps d’attraper sa pointe. Il la toisa, le visage à quelques centimètres, plongea dans ses yeux millénaires.
— Que fais-tu ? Tu n’as pas d’arme et tu es blessé…
Son ton était interloqué, presque amusé. Roar répondit de son large sourire carnassier.
— Ce serait bête que je ne meurs sans te goûter !
Il s’étendit d’un coup, ouvrit la bouche, croqua à pleine dent l’épaule de la jeune femme avant même qu’elle n’ait le temps de protester. Le sang coula entre ses lèvres, rougit ses canines blanches et acérées. La Renarde cria de douleur, pesta contre cette attaque sans aucun but.
Plum hurla une nouvelle fois derrière lui. A peine eut-il le temps de savourer sa minuscule victoire qu’un coup violent le frappa sur le crâne. Un goût ferreux, délicieux, et puis, le noir.

À suivre

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