17 – Roar – part. 4

Texte : Alyciane CENDREDEAU

L’enfant était blottie contre le mur de la grotte, tremblotante, son petit anneau de métal serré sur sa paume. Elle avait perdu sa poupée, mais elle essayait de ne pas y penser.
Voilà des heures que les deux étranges personnes l’avaient traînée là, presque par dépit, déposée comme un paquet gênant à quelques pas de leur campement. La femme pestait silencieusement depuis leur départ, lui jetait des regards qui lui semblaient noirs. Elle ressemblait à une humaine, peut-être même plus que Roar, mais ses longs cheveux rouges, sa peau d’albâtre et son aura mystique lui rappelait l’apparition qu’elle avait vu plusieurs jours plus tôt. Son port était droit, ses gestes habiles, son regard profond et rempli de multiples vies. Finalement non, elle n’avait rien d’humain. L’homme qui l’accompagnait, lui, ne parlait pas. Il ne vivait pas non plus, semble-t-il, et suivait uniquement les ordres de la femme sans broncher. Plus de cerveau, plus de raison ; seul son épée et ses chaînes tintaient encore dans cet être tout entier. Plum ne savait pas s’il était le prisonnier de la Renarde, ou si c’était elle qui en était prisonnière, mais les anneaux de métal qui les reliaient, qui enserraient le cou et les poignets de l’armure, semblaient peser lourd dans les mains de la guerrière rousse.
Plum les dévisageait, étudiait cet étrange duo. Sur le plastron noir de l’homme silencieux se distinguait le profil d’un loup, la gueule ouverte, les crocs saillants, bosselé et presque rouillé sur le métal usé. A bien y regarder, cette carapace semblait avoir des siècles, et la voir encore servir tenait du miracle, ou de la sorcellerie. Mais son aspect terni par les ans, abîmé par les coups et tâché par le sang accentuait son allure cauchemardesque. La petite fille trembla encore une fois, croisant le regard vide de son porteur.
— Rhaaaa, gronda tout à fait la Renarde. Il se prend pour un chien ou quoi ?!
La jeune femme essayait de soigner la blessure profonde laissée par la mâchoire de Roar, pourtant moins moche que prévue. Plum admira un instant le demi-cercle parfait en pointillé rouge sur l’épaule d’une blancheur immaculée. Il ne saignait presque plus, ce qui était plutôt étonnant.
Plus loin s’éleva un léger gémissement. Roar avait été traîné lui aussi, posé à même le sol froid, la tempe lacérée. Plum avait essayé de le réveiller, de le secouer, mais il ne bougeait plus, et elle avait bien cru qu’il était mort. Pourtant, le cœur de l’enfant bondit au son de la voix douloureuse. La plainte se fit plus forte, et l’homme se redressa lentement en se tenant le crâne.
Plum n’osa pourtant pas bouger, fixant du coin de l’œil la réaction de leurs hôtes. Ces derniers ne frémirent pas, mais la femme s’approcha de lui, s’accroupit face à face.
Enfin, elle rouvrit la bouche.
— Te voilà réveillé. Tu es plus solide que je ne le pensais…
Roar avait la tête lourde, le cœur au bord des lèvres. Son corps était résistant mais plutôt mince, voire maigre, et il n’avait pas l’habitude d’être secoué. Il se frotta lentement le visage, les yeux, toucha ses mèches collées par le sang séché.
— Renarde ? osa-t-il enfin d’un ton grinçant.
La jeune femme fit la moue, posant ses bras sur les genoux d’un air nonchalant.
— Si tu veux m’appeler ainsi… soupira-t-elle.
Roar se redressa tout à fait, penché vers l’avant pour rapprocher son visage de la guerrière.
Elle ne bougea pas, posa son menton sur sa paume, las.
— Comment pourrais-je appeler une si jolie mort ?
La femme haussa un sourcil.
— Tu n’apprends pas de tes erreurs, chacal ? continua-t-elle enfin d’un ton calme, dénué de toute hargne.
Roar pencha la tête et grimaça, tentant un sourire qui lui tirait la tempe. Il semblait souffrir, mais son regard de lynx évaluait pourtant discrètement la situation. Plum était plus loin, lançant des œillades paniquées de l’autre côté de la grotte. Il se tint le crâne, comme prêt à défaillir. Dans son dos vibraient ses deux ailes de chair brisées. L’une d’entre elles refusait obstinément de bouger.

La situation était peut-être désespérée.

L’assassin laissa sa main glisser lentement sur sa joue, soupira longuement puis planta ses yeux noirs dans ceux de la dame. Il se mordit la lèvre, comme si une pensée l’amusait d’un coup.
— Soyons amis, proposa-t-il, presque enthousiaste.
La Renarde sembla interloquée, puis éclata de rire encore une fois. Après quelques secondes, posant ses doigts graciles sur ses lèvres roses, elle répondit enfin :
— Décidément, des siècles à ne pas croiser un humain et voilà que je rencontre le pire…
— Le pire ? Vraiment ? s’étonna le jeune homme.
Il rit aussitôt lui aussi à gorge déployée. Plum se recroquevilla, croyant voir un démon devenir fou. Puis, d’un coup, l’assassin stoppa net, et son visage devint plus sérieux, plus intéressé aussi.
— Qui êtes-vous, tous les deux ? Et que voulez-vous à ces contrées ?
La Renarde se releva, amusée.
— De simples… hum… mercenaires… finit-elle par déclarer.
— Ha… je vois…
Un long silence.
D’une voix amicale, l’homme continua :
— Je suis Roar.
Il tendit sa main pour accompagner la parole. La femme le fixa un instant, jetant un œil sur ses appendices derrière le dos. Le jeune homme sourit d’un air malicieux.
— Ils ne peuvent plus bouger… voulut-il rassurer.
— L’un semble encore pouvoir, pourtant.
Et le deuxième le pourra plus tard, là n’est pas le sujet.
Qui me dit que tu ne vas pas encore attaquer… ?
La dame avait répliqué sans peur, avec un pragmatisme implacable.
— Car en fin de compte, je tiens à ma vie… répondit-il enfin.
Son œil se dirigea vers l’enfant qui restait, estomaquée, à les regarder dialoguer comme si de rien n’était.
— Car nous ne l’avons pas tuée ? tenta la Renarde, curieuse, jetant un regard sur Plum.
— Car je tiens aussi à la sienne.
Le jeune homme restait assis, toisant la jeune femme d’un air provoquant. Il se tendit un peu plus, sa main l’effleurant presque. Elle l’attrapa enfin avec fermeté, le tira pour qu’il se relève.
— Kin.
La silhouette longiligne de l’assassin se redressa, se tordit presque ; les lanières de cuir noires couvrant son corps, durcies par le sang séché, grincèrent.
— Kin. Facile à retenir.
— Je ne me souviens plus du reste.
L’homme ne releva pas la remarque étrange.
— Et lui, c’est qui ? continua-t-il en pointant l’armure du doigt.
— Un ami.
La réponse était vague, éludée. L’esprit des bois ne semblait visiblement pas prête à en parler.
— Et elle ? reprit cette dernière, presque par politesse, pointant la petite fille.
Une voix timide brisa le noir de la caverne, glissa jusqu’à eux.
— Plum. Je m’appelle Plum. Mais qui est ce monstre… ?
L’enfant pointa peureusement « l’ami ».
Roar ne put s’empêcher à nouveau de rire quand il remarqua le regard noir de la guerrière.
— Plum a le mérite de toujours mettre les pieds dans le plat. Ceci-dit, maintenant que nous sommes là, vous pouvez peut-être nous en dire plus sur cette attaque surprise ?
La femme soupira.
— Nous n’y sommes pour rien. Quand nous nous en sommes aperçus, il était déjà trop tard.
— Et vous passiez juste pour prendre quelques affaires ?
Kin fronça les sourcils, définitivement agacée.
— Ne parle pas de ce que tu fais toi-même, chacal.
Roar sourit, les dents blanches.
— Maîtresse Renarde, le Loup en noir et le Chacal. Nous sommes faits pour nous entendre…
— Rrrraaar… grogna un peu plus loin l’homme en armure, comme pour protester.
L’assassin s’approcha, fit signe de la tête pour le saluer.
— Non. Roar. Ça se prononce Roar, mon ami.

À suivre

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